retour Accueil La Guerre de 1914 de Louis Jonot

Louis Jonot (1911 ?) © famille Jonot

Le 28 juin 1914, l´Archiduc d´Autriche, François-Ferdinand, est assassiné à Sarajevo, en Autriche-Hongrie. Dès lors, c´est l´engrenage des déclarations de guerre : Allemagne, Russie, France, Grande-Bretagne, Belgique, Autriche-Hongrie, Serbie.
Louis Jonot a 41 ans lorsque la guerre éclate. La mobilisation générale (décrétée le 1er août) commence le 2 août : les hommes nés de 1891 à 1893 rejoignent l'armée d'active, ceux nés entre 1881 et 1893 rejoignent la réserve de l'armée d'active, ceux nés entre 1875 et 1880 rejoignent l'armée territoriale et ceux nés entre 1869 et 1874 rejoignent la réserve de l'armée territoriale. Louis Jonot fait parti de ces derniers (né en 1873). Les régiments de réserve se rattachaient aux régiments d'active, dont ils reprenaient la numérotation augmentée de 200. Le régiment de réserve du 1er RI était ainsi le 201e RI. Il avait même lieu de recrutement et de garnison, et la plupart des réservistes de 1914 partirent dans la réserve du régiment où ils avaient fait leurs classes.
Malgré sa charge de famille (3 enfants) et son âge, il part pour Evreux dans l'Eure où il rejoint le 228e Régiment d'Infanterie.
L´armée allemande occupe Liège, Charleroi.
Le 10 août, au soir, le 228e RI quitte Evreux pour la Belgique (voir l'historique du régiment). Louis Jonot ne fait pas partie de ces premiers convois. Il est affecté dans une unité de “ garde-voies ”, probablement à Bueil. Il n'est pas loin de son village natal, Bréval, et il peut rendre visite à sa famille.
L'armée allemande poursuit son chemin, arrive en Picardie, et le 31 août 1914 entre à Amiens qu´elle abandonne 8 jours plus tard, car Von Kluck a donné l´ordre de retraite après la bataille de la Marne : le plan Schlieffen a échoué et sa tenaille ne se refermera pas sur Paris. Puis, du 20 au 30 septembre, se déroule la première bataille de la Somme lors de la “ course à la mer ”.
La distinction entre active et réserve fit long feu, très vite on employa les régiments aux mêmes fonctions, et il n'y eut plus de différence entre les différentes unités. C'est à ce moment-là que Louis rejoint le 228e Régiment d'Infanterie, qui vient de participer à la Bataille de la Marne, avant de partir pour le front de la Somme.
A partir d´octobre, le front se stabilise sur 750 km, de l´Yser, à la frontière Suisse ; à la stratégie de l´enveloppement succède celle de la percée qui prévaudra pendant 3 ans et demi. Le front de la Somme (voir une carte du front), tenu à cette époque par l´armée française, est une ligne nord-sud qui passe devant les villages de Beaumont-Hamel, Thiepval, La Boisselle, Fricourt, Maricourt (en faisant un double angle droit), Curlu (en utilisant un demi-méandre de la Somme), Dompierre, Faÿ, Chaulnes et Maucourt, les Allemands occupant les lignes de crête qui surplombent les vallées de l´Ancre et de la Somme.

Régiment de garde-voies © famille Jonot

Chaque armée creuse ses lignes de tranchées et de communication, ses abris souterrains, construit ses défenses de surface, installe ses réseaux de barbelés souvent épais de 40 m et séparant un no man´s land, large de 300 à parfois 500 m.

Acteur de cette bataille, Louis Jonot (sur cette photo très pâle, prise vers Evreux, il est surement le 4e en haut en partant de la gauche © famille Jonot) raconte ses journées sur une feuille de papier (papier fin, transparent) pliée en 8 (qu'il gardait sur lui), rédigée d'une écriture très fine (pour ne pas gâcher le papier) avec un crayon à papier tout petit, sans doute taillé à la toile émeri. Pendant 25 ans, ce document était sorti de la famille sans que l'on sache où il se trouvait. Il avait heureusement été recopié (en 1976) sur un cahier d'écolier où il occupe environ 15 pages. Début 2005, par un des miracle d'Internet et grace au site Mémorial-GenWeb, il nous a été rendu. Je remercie Pierre, cet animateur de radio (Melun FM) de l'époque, qui nous a contacté et rendu les documents que lui avait confié Louise Jonot.

En voici la transcription aussi fidèle que possible ; les points d'interrogations et les annotations entre crochets ont été ajoutés (© famille Jonot) :

2 octobre en train
4 h matin : quittons Evreux pour arriver à Noisy
[Noisy-le-Sec ?] à 10 h matin, repart à 9 h du soir, passons à Villers-Cotterets [Aisne] pour descendre à Jonchery [Jonchery-sur-Vesles Marne] à 6 h matin

3 octobre
Repartons à 8 h pour Bouvancourt
[Marne] où nous arrivons à 4 h après-midi, sommes versés dans les Cies du 228e, couchons à 8 h soir, réveil à 1 h après, sortons prêts à partir puis sur une nouvel ordre, nous retournons nous coucher puis à 11 h nouveau réveil, pour de bon cette fois, pour revenir à Jonchery où nous étions descendus la veille. Nous nous couchons à 1 h du matin dans un chaume de blé en dehors du pays.

4 octobre
L'on déjeune et reste sur le terrain jusqu'à 2 h puis nous montons dans des autos, l'on passe à Villers-Cotterets où nous étions passés dans la nuit du 2 au 3 - pour arriver à Compiegne
[Oise] à 7 h. L'on couche dans les baraquements bonne nuit [ces lignes avaient été écrites aussi sur un carnet de cartes postales de Compiègne].

5 octobre
Le matin nous allons en ville pour faire des provisions pensant passer la journée ici. En rentrant nous trouvons tout le monde prêt à partir, il faut abandonner une partie des provisions, l'on prend le train vers midi pour Faverolles
[40 à 50 km Somme] où nous descendons pour aller coucher à Lignerolles [Lignières ou hameau ?].

(carte des endroits cités dans la Somme : zone 1)

6 octobre
Nous sommes de garde de police à la Marne
[?], nous passons à 2 la journée dans le clocher à observer les environs avec des jumelles, le soir nous partons pour les tranchées à 5[?] km où nous passons les journées et les nuits du

7-8 et 9 octobre Avec de la gelée blanche sur la figure

9 octobre
A 8 h du soir nous partons un peu plus en avant creuser de nouvelles tranchées. Nous passons la nuit à travailler.

Dans la journée du 10
Violent feu d'artillerie, une partie du pays à 5 ou 600 mètres de là, brûle. Le clocher est troué par les obus allemands, nous quittons les tranchées le soir pour retourner coucher à Lignerolles.

11 octobre
A 5 h matin, nous partons pour les camps
[?] où l'on passe la journée dans un bois, on rentre coucher dans une grange dans les chardons, l'on gèle, il gèle à glace.

12 octobre
L'on part pour Hangest
[?]-sur-Sauterre [Hangest en Santerre] en passant par Faverolles et Etelfay, étape longue et dure, l'on passe la nuit et la journée.

la journée du 13 octobre pour se nettoyer un peu à la boucherie.

14 octobre A 6 h nous partons pour Bray-s/Somme en passant par Venièvre
[?] L'Equipée Étagne[?], étape encore plus dure que celle du 12.

(carte des endroits cités dans la Somme : zone 2)

15 octobre
Nous passons la journée à nous reposer dans le grenier à fourrage de la gendarmerie, le soir nous partons pour les tranchées au bord de la route. Nous y passons la journée.

du 16 et le 17 au soir
nous avançons dans d'autres tranchées dans les champs.

18 octobre
Violente attaque de Fricourt en avant de nous qui ne réussit.

19 octobre
Nous rentrons coucher à Méault
[Méaulte] dans une écurie. Nous en repartons l'après-midi

lendemain 20
Nous passons par Bray pour aller aux tranchées d'avant-postes où nous arrivons le lendemain matin.

Carte postale de Maricourt (1914)

21 octobre vers 3 h
Après un drôle de voyage. Peu d'hommes arrivèrent sans tomber, il tombait une petite pluie fine qui rendait le sol argileux très glissant. Notre capitaine tomba et se blessa au genou, c'est le lieutenant qui prit le commandement. Nous traversons le village ou du moins les ruines du village de Maricourt. Il n'existe pas une maison entière. Ce pays fut le théâtre de violents combats où beaucoup des nôtres y restèrent, le soir nous nous portons en arrières dans des tranchées abris où nous passons la nuit.

22 octobre
Nous retournons dans nos tranchées, en avant le canon tonne dur. Beaucoup de marmites
[gros obus allemands] tombent dans les environs, les nôtres leur en envoient aussi, le soir, fausse attaque par suite de sentinelles qui s'égarent en avant des tranchées, il y en a un de blessé.

Nous rentrons le 23 dans nos tranchées en arrière pour nous reposer, pour retourner le soir en avant où nous passons la nuit à approfondir nos tranchées.

24 octobre en arrière

25 octobre en avant,
attaques des boches repoussées : 1 mort, 1 blessé. Il fait un temps affreux, nous sommes mouillés comme des grenouilles.

26 octobre
Nous passons la journée en arrière à nous sécher. Le soir on nous annonce une attaque pour la nuit. Nous devons, au dire de notre nouveau lieutenant, déloger les boches du village de Montauban
[Montauban en Picardie ?]

mais l'attaque n'a lieu que le 28 octobre à 11 h du matin mais nous ne réussissons qu'à avancer de 800 m, nous n'étions pas en force et il aurait fallu trop d'hommes car la distance qui nous sépare du pays est au moins de 1.500 m. Total : 2 tués, 1 blessé, nous passons la journée sans manger, nos vivres n'ayant pu arriver jusqu'à nous. Nous restons cachés dans un petit bois, une partie de la Cie commence une tranchée, on nous là relèvent à 6 h du matin.

29 octobre
Nous attendons le soir avec impatience pensant que les boches vont nous attaquer pour nous reculer car toute la journée nous avons reçu des coups de fusil, un malheureux marsouin
[soldat de l'infanterie coloniale] gît mort à quelques mètres de nous, la tête trouée d'une balle, plus loin plusieurs boches sont dans la même position. Nous terrassons toute la nuit. L'attaque prévue ne se fait pas, il faut monter la garde en avant de la tranchée, l'on est pas bien hardi.

30 octobre
A 5 h du matin, nous rentrons sous bois, nous reposons toute la journée. Le village de Maricourt est de nouveau bombardé par les boches qui savaient que les officiers et les cuisiniers s'y trouvaient, il y a quelques blessés. Le peu de monde qui reste se cache dans les caves qui ne sont pas défoncées.

31 octobre à 6 h
Nous retournons dans nos tranchées où nous travaillons sans cesse pour les agrandir. Nous entendons une violente canonnade vers le sud et des feux d'infanterie, nous apprenons plus tard que c'est la bataille du Quesnoy-en-Santerre
[on trouve la trace de cette bataille dans les chronologies de la guerre de 14 : 30 octobre] que nous avons gagnée. Nous passons la nuit à terrasser pour rentrer

1er novembre
dans nos trous sous bois nous reposer jusqu'au

5 novembre
Même travail, le matin nous rentrons à Maricourt. Notre section reste sur le bord du chemin dans des trous, nous nous reposons et nous nettoyons. Il y avait longtemps que l'on avait vu de l'eau. Nous mangeons chaud ce qui fait aussi notre bonheur.

6 novembre
Repos le matin, le soir un peu de terrasse, la nuit attaque des boches qui est repoussée mais on nous fait passer la nuit de garde dans une tranchée à l'entrée du pays.

7 novembre
Triste nouvelle, Aline m'apprend la mort de Léa
[son plus jeune frère a été tué le 9 septembre à Esternay (Marne), près de Courgivaux, mais il ne l'a su que ce jour par une lettre de la femme de Léa]. J'écris plein de lettres et passe une bien triste journée étant de repos, le soir nous retournons dans les tranchées que nous avons quittées

le 5,
il fait un épais brouillard, 3 camarades sont blessés à 3 h quand un coup de vent en enlève le brouillard.

8 et 9 novembre
Toujours même travail sans rien de nouveau.

Le 9
je reçois un paquet de Marie
[sa femme], grand plaisir mais pas de lettre que j'attends depuis si longtemps.

10 novembre
Attaque projetée mais elle se fait sur un autre point - Nuit très froide. Nous rentrons le matin à 5 h dans nos trous à Maricourt, nous y passons la journée du 11 sans rien de nouveau.

11 novembre
Je reçois une lettre de Marie du 21 octobre avec la mention “ Inconnu à la 20e ” ce qui explique le retard. Le soir attaque sur le front. Nous sortons de nos trous pour y revenir 10 minutes après.

12 novembre
Journée tranquille, le soir nous allons faire des tranchées jusqu'à 2 h du matin.

13 novembre
Mauvais temps, pluie, vent jusqu'au

14 novembre
où nous retournons dans nos tranchées en avant. Nouvelle lettre de Marie et de Henri
[son frère de Corbeil]. 1 camarade tué dans la tranchée. Il venait de recevoir un paquet et était tout heureux en pensant aux siens quand il fut frappé. Ses enfants avaient écrit leur nom sur un paquet de cigarette.

15 novembre
Il gèle, vent et neige. Il ne faut plus dormir nuit et jour pour faire un abri pour passer le mauvais temps. L'on ne peut dormir. J'ai beaucoup souffert des pieds en prenant la garde. Depuis hier nous tirons sur les Allemands qui se montrent car nous ne sommes qu'à 7 ou 800 mètres. Après la gelée, voici la neige et ensuite la pluie tombe. La journée et la nuit ainsi que la journée du

16 novembre
Nous avons 10 cm de boue dans les tranchées, heureusement que mon abri est bon, je ne suis pas trop mouillé grâce à une grande bâche.

17 novembre
Nuit humide et froide, il gèle sur le matin, mauvais temps pour tout le monde. Il y a déjà des malades, beaucoup se plaignent.... nous sommes couverts de boue, l'on ne voit plus la couleur des capotes. Le matin nous rentrons à Maricourt, dans notre vieux bâtiment. Il fait beau soleil, nous nous lavons et nettoyons le plus gros.

18 novembre
Il gèle toute la nuit, nous sommes gelés dans notre coin où il manque la moitié des tuiles sans plafond. Les 2 autres nuits sont bonnes, nous avons charrié beaucoup de foin pour nous coucher. La neige tombe toujours et le canon tonne. Les Allemands tirent peu, ils semblent ménager leurs munitions.

21 novembre
Au matin nous retournons aux avant-postes, il fait froid.

22 novembre
Nous montons 5 gardes, il y a des malades et une corvée en ville, nous sommes complètement gelés surtout les pieds. Le 45e a fait une petite attaque en lançant des fusées pour éclairer le terrain. Il y a du .... La 18e brûle une meule de grain qui gênait et permettait aux boches de s'approcher. Nous rentrons.

23 novembre
A Maricourt nous réussissons à faire du feu dans un vieux bâtiment, nous y passons à la baignade
[?]

24 novembre
A 6 h du matin nous prenons la garde au poste de police.

25 novembre
Nous retournons en avant au lieu de rester à Maricourt, il neige, mais cela ne dure pas, je reçois un petit paquet, nous creusons toujours notre tranchée abri et plaçons des créneaux pour nous mettre à l'abri des balles.

26 novembre
Journée humide

Ce document s'arrête par ces derniers mots écrits la veille de sa mort. Il sera tué d'une balle dans la tête le 27 novembre 1914 à Maricourt (Somme) et transporté à Suzanne, entre Albert et Péronne.

L'armée Française est mal organisée pour cette guerre de tranchée : en 1914, l'uniforme du soldat français n'a presque pas évolué depuis 1870, c'est la célèbre tenue bleu avec pantalon de garance rouge. En ce début de guerre les hommes qui se tiennent au front n'ont pas de casques, seulement des casquettes (comme on voit sur la photo). C'est donc soit lors des assauts, soit dans les tranchées que sont tués les soldats ! En avril 1915, une nouvelle tenue bleue horizon fait son apparition et le fantassin est enfin doté d'un casque vers la fin de 1915.

Suite : Louis Jonot (compléments 1914)


Autres témoignages de guerre :

Retour page précedente

retour Sommaire

mise à jour le