retour Accueil Louis Jonot : lettres à Marie

Courrier de Louis Jonot à Marie (Julienne), son épouse, pendant la guerre de 1914

(Ces lettres se trouvaient avec le journal de Louis Jonot et ont été récupérées en mars 2005 et mai 2014)

Lettre Carte-Lettre : 1 volet plié, écrite à l'intérieur, expédiée par M. Jonot, Evreux, 18e territe, 14e Cie ; tampon “ Evreux 16-8-14 ”, timbre rouge 10c, tampon au dos “ Melun 20-8-14 ” (au dos “ Première lettre de Papa ”)

“ Evreux le 16 aout 1914
Chère Marie,
Je suis arrivé hier matin après avoir couché chez maman
Elle ne m'attendait pas, elle est en bonne santé, Léa est parti il y a 8 jours, il a été à Rouen.
Je n'ai pas vu Modeste, je vais lui écrire, peut être en as-tu des nouvelles depuis que je suis parti.
Il tombe de l'eau depuis que je suis ici.
Ecris moi de suite pour me faire savoir comment ça va à la maison. Si le grainetier n'a pas livré d'avoine dis à Lucien qu'il en demande au fermier.
Rien de plus à te marquer pour le moment, que je suis avec vous par la pensée, et vous embrasse bien tous.
Louis
Bien le bonjour à tous les voisins et employés. 18e territorial, 14e Compie ”
Lettre : feuille double A5, écrite sur 3 côtés à l'encre noir/marron, repliée 1 fois en 2

“ Bueil dimanche 13 Septembre 1914
Chère Marie,
Je ne sais si tu as reçu ma dernière lettre par laquelle je te fais savoir que je suis à Bueil, mais je pense que toi ou Modeste m'avez écrit, et que votre lettre ne m'est pas parvenue, par suite de retards occasionnés par notre déplacement, aussi je suis bien inquiet de savoir ce qui se passe ; veuillez donc me donner des nouvelles au plus tôt car avec l'adresse ci-dessous je recevrai peut être une lettre de vous en peu de temps, peut être même avant celle que vous avez dû je le pense m'envoyer ces jours derniers.
Nous sommes bien ici, la nourriture est bonne, je désire vivement et bien d'autres que moi, y rester tant que durera la guerre.
Dis moi ce que Lattes pense faire et s'il doit passer au nouveau conseil de révision, car je ne sais pas s'il a plus de 34 ans. Dans le cas où il aurait plus que cet âge il n'a pas à comparaitre.
Quant à Mme E... quel motif à t'elle donné pour partir, car la ville de Melun n'ayant pas reçu d'ordre d'évacuation, elle n'avait aucun motif de partir, donc rupture de contrat de sa part, de même pour L... s'il doit en faire autant.
Firmin et Lucien vont être appelés aussi, mais pas encore tout de suite.
Vous avez dû voir beaucoup de troupes et de toutes sortes depuis une dizaine de jour vu la proximité du champ de bataille, qui aurait pensé cela quant je suis parti.
J'envoi une carte à Marcel en même temps que ma lettre, la première croix indique le bâtiment ou notre cuisinière nous fait la cuisine et où nous mangeons, la seconde croix indique notre chambre à coucher,
matelas en plus de six pieds.
Rien d'autre pour le moment, que j'ai hâte de vous lire.
Donne moi des nouvelles des enfants.
Je vous embrasse bien tous.
Louis
M'écrire à cette adresse et affranchir.
Monsieur Jonot,
Chez monsieur Derlot Auguste
A Bueil, Eure ”
Lettre : feuille double A5, écrite sur 3 côtés à l'encre noir/marron, repliée 2 fois en 2

“ Bueil le 17 Septembre 1914
J'ai reçu la lettre de Modeste datée du 10, hier, Je ne suis pas surpris de ce qu'il me marque, Je m'attendais bien a ce que tous ces froussards fichent le camp, ils ont peut être bien fait car ils peuvent revenir, je ne veux rien savoir, Je ne pensais pas que F... aurait suivi les autres.
Quant à L... je ne suis pas surpris de ce qu'il est devenu, car tu te rappelles sans doute ce que je t'ai toujours dit de lui, je ne m'étais pas trompé.
Modeste me marque que Mr Immoos est venu s'offrir pour travailler, je ne vois pas bien ce que vous pourriez faire avec lui seul ; je crains que vous ne couvriez pas vos frais, mais faites pour le mieux, vous voyez mieux que moi ce que vous pouvez faire, je pense que tu ne feras plus prendre le lait Du Mr Jullemier sauf s'il l'amenait comme avant à Germenoy.
Dans les boutiques fermées il faudra bien s'assurer que les compteurs à gaz et électricité sont bien fermés.
J'ai été mardi voir grand-mère, je l'ai bien surprise, car elle n'avait pas reçu de lettre de moi, il en est arrivé une comme j'y étais, elle est en bonne santé, elle est obligée d'aller à Bréval chercher son pain tous les 2 jours, il n'y a plus ni boucher ni boulanger qui font leurs tournées. Pendant que j'y étais j'ai été voir Aline et la mère Magny Aline travaille comme un cheval malgré les enfants, c'est elle qui a fauché à la machine une partie de son avoine, elle ne sait plus que faire de ses 2 chevaux, et elle en a un que personne n'ose plus atteler il est devenu méchant à rien faire ; ses enfants sont en bonne santé, sauf le 2e que j'ai trouvé un peu pâlot. La mère Magny a beaucoup changé, elle n'est plus fraîche et grosse comme elle était ; elle se tourmente beaucoup, Léa n'a pas donné de ses nouvelles depuis 3 semaines [*1], la dernière lettre qu'il a écrite venait de Rouen, mais il n'y est certainement plus maintenant.
Quant à moi ça va mieux maintenant, mais les journées sont terriblement longues et il n'est pas d'instants que je ne pense à vous tous. Depuis que nous sommes ici nous avons toujours eu beau temps mais depuis 2 jours la pluie n'a pas cessé.
Je termine ma lettre car la cuisinière attend pour mettre son couvert que nous ayons fini d'écrire.
Je vous embrasse bien tous, en attendant avec impatience de vos nouvelles qui me font un peu oublier la longueur du temps.
Louis ”
Lettre : feuille double A5, écrite sur 1 côté au crayon, repliée 2 fois en 2

“ Noisy le Sec le 2 octobre 1914, 1 heure soir
Chère Marie,
Deux mots pour te dire que nous sommes de passage ici, nous devons en repartir vers 3 heures pour une destination que personne de nous ne connait. J'ai appris en repassant ce matin à Bueil qu'une lettre était arrivée, mais déjà elle avait été réexpédiée à Evreux où nous étions parti hier 1er Oct. à midi. Je ne sais quant je la recevrai. Inutile d'écrire avant d'avoir reçu une autre lettre de moi. Soyez sans inquiétude sur mon sort.
Je vous embrasse tous bien fort.
Louis ”
Carte postale : L'Hôtel de Ville [le nom Compiègne a été volontairement effacé] ; tampon d'arrivée 11-10-14
“ Je suis en bonne santé, écrivez moi pour me donner des nouvelles. Louis
228e Régiment d'Infanterie
53e Division ”
Lettre : feuille double A5, écrite sur les 4 côtés au crayon de papier, repliée 2 fois en 2 ; réparée avec du scotch sur les plis
“ 13 Octobre 1914
Chère Marie. J'ai reçu hier soir tes 2 lettres du 27 et 29 sept. Qui m'ont tout à la fois fait plaisir et fait de la peine. De te voir dans une situation aussi difficile et aux prises avec tant de difficultés. Pour les fruitiers, je ne vois que Romualdo rue Saint Liesne que vous ne servez pas, c'est au 22 pour L... c'est ennuyeux qu'il ne prenne pas de lait car la maison est bonne, il faudrait insister près de lui, il faudrait que ce soit un homme qui le voie, car avec un verre ou deux vous l'auriez, je vais lui écrire pour un bonjour. Quant à C..., il n'est pas bien intéressant, il varie de trop, la crèche sera difficile à avoir [ligne difficile à lire] le marché n'est pas à nous s'il y a de l'opposition à la mairie, mais s'ils ne prennent pas de lait, ils pourraient tout de même payer celui qu'ils doivent, quant aux casernes s'il y avait des demandes, il faudrait vendre au moins 28. Pour E... fais pour le mieux, ils ne sont pas intéressants mais il faut peut être mieux en passer pour le moment, pour le payement des chevaux s'ils exigent le règlement des contributions, il reste à payer environ 150 à 180.00F j'ai déjà payé 150.0F dont je t'envoie le reçu. Quant à la Professionnelle qui dépend de la mairie aussi, il faudrait demander à Mlle Zeller, s'ils ne pourraient pas payer la note que je lui ai remise en juillet. Je penses que quand Lattes et Esperet sont partis qu'ils t'avaient laissés des listes de tournées, pour Firmin s'il revient il faut le reprendre mais en lui laissant comprendre le tort qu'il eu et l'embarras dans lequel il te laissa. Je te prie de remercier de ma part Mr Immoos et de leur souhaiter le bonjour à tous deux. Tu me diras comment vous vous êtes arrangés tous deux. Je voudrais bien savoir si Forbo le laitier de la rue du Miroir est parti aussi. J'oubliais de te dire qu'il y a aussi 2 petits fruitiers rue des Granges Mmes Veron et Babin. Pour la machine je penses que tu es tranquille avec Mr Immoos il doit s'y connaître, j'avais dis au mécanicien de me poser un régulateur sur la prise de vapeur, il n'a pu le faire probablement, car son garçon doit être parti aussi. Je penses que tu as reçu les lettres que je t'ai adressé depuis mon départ de Bueil, et excuse moi du peu de détails que je te donne, mais nous sommes tenus d'en dire le moins possible surtout en ce qui concerne ce que nous faisons et où nous sommes, nous souffrons du froid depuis plusieurs jours, hier matin il a gelé très fort, nous couchons un peu partout granges ou grenier écuries ou poulayers [sic] sont nos chambres, quant à la propreté il n'y faut pas penser, il y a 15 jours que je ne suis pas rasé, je pense pouvoir le faire aujourd'hui, nous devons passer la journée dans le pays, mais nous sommes tellement d'hommes que c'est très difficile d'obtenir quelque chose pour la nourriture il est impossible de rien trouver il faut se contenter de l'ordinaire de la Cie qui est aussi ordinaire que possible vu les circonstances et combien de temps cela durera t'il encore nous n'en savons rien nous ne savons même pas ce qui se passe et si nous avançons, nous allons et venons dans tous les sens sans connaître le but ni la raison. Tu me dis que Louise a mal à la gorge je penses que cela doit être passé, dis leur à tous trois que je leur demande d'être très sages et surtout de t'aider, que c'est le plus grand plaisir qu'ils puissent me faire en ce moment. Quant à Marcel, il va probablement être obligé de partir, je n'ai pas reçu de nouvelle de Victorine et Blanche, j'espère qu'elles sont en meilleure santé, dans la prochaine lettre tu me diras si tu as des nouvelles de quelqu'un. J'ai plaisir à apprendre que vous avez des légumes en aussi grande quantité et que cela a été épargné par le passage des troupes. J'aurais bien autre chose à te dire mais il faut que je m'occupe un peu de mon nettoyage. Je te prie seulement de veiller à toi et de ne faire que ce qui est indispensable, nous ferons plus tard comme nous pourrons. Je vous embrasse bien tous.
Louis
Ecrire adresse 228e Régiment d'Infanterie 20e Cie à Evreux Eure.
Si tu pouvais m'envoyer par la poste 2 paires de chaussettes de laine, 2 mouchoirs, un gros foulard et 2 ou 3 journaux, 2 boites de sardines et 1/2 livre de chocolat, cela me fera plaisir, même adresse que pour les lettres.  ”
Carte postale : L'Eglise Saint-Jacques [le nom Compiègne a été volontairement effacé] ; tampon d'arrivée 22-10-14
“  Chère Marie
Je n'ai reçu aucune nouvelle de vous tous depuis [mot rayé] tes 2 lettres du 27 et 29 septembre, voici la nouvelle adresse pour les lettres que tu m'adresseras 228e Régiment Infie 20e C?? 53e Division de réserve Bureau Central militaire Paris
Pour ce que je t'ai demandé si la paquet est trop gros fais en 2
Le 15 Octobre - Bons baisers à tous Louis ”
Lettre : feuille double A5, écrite sur 4 côtés au crayon, repliée 1 fois en 2. 2 pages de correspondance et 2 pages de récit.
“ Le 31 octobre 1914
Chère Marie,
J'ai attendu jusqu'à ce jour pour t'écrire pour te confirmer mes deux lettre ou cartes précédentes sur lesquelles je te donnais mon adresse, je ne sais quoi penser. Mon inquiétude est grande : as-tu reçu ces lettres, est-tu malade, ou y a-t-il quelque chose qui ne va pas et que tu n'écris pas, ou bien tes lettres ne m'arrivent pas ?
Quant à mon paquet, je l'attends, en particulier, je n'ai plus rien de propre. Nous ne voyons plus partout, nous passons nos jours et nos nuits dans les tranchées en plein champs, ou dans les bosquets, sous le vent et la pluie.
Tu me diras dans ta prochaine lettre si le billet Leclère t'a été présenté et ce que pensent les propriétaires pour le loyer, si tu seras obligée de le payer. Comme cliente je servais aussi le boulanger Mme Vacu à côté du boulanger Roussel, à qui tu souhaiteras le bonjour si tu les vois toujours, je ne te mets rien de plus il faut que nous quittions la place où nous sommes pour aller plus loin.
Si je reçois une de tes lettres d'ici quelques jours je te récrirais aussitôt.
Ne fais pas attention à la façon dont est faite ma lettre, cette partie j'ai froid aux mains, l'autre partie a été faite il y a quelques jours.
Je vous joints chacun une petite pensée ramassée dans les champs en pensant à vous tous.
Recevez tous avec ma pensée mes baisers affectueux.
Louis
La vie que nous menons est peu gaie, ce qui pèse le plus n'est pas le travail auquel nous nous livrons, mais bien les longues heures que nous sommes obligés de passer dans ces trous sombres et froids, où nous ne sommes que 2 ou 3, moi-même souvent je suis seul, car je préfère cela vu que je n'ai pas encore eu le plaisir de rencontrer un homme avec qui je puisse m'entretenir sans rencontrer des idées opposées aux miennes, idées que malheureusement tu connais pour les avoir entendues chez nous par nos employés. Nous ne pouvons sortir dehors que juste pour satisfaire aux besoins naturels, ainsi en ce moment il fait un beau soleil, mais les Taube [*2] passent et repassent au dessus de nous et si nous nous montrions nous signaleraient aux obusiers allemands qui nous enverraient leurs sales marmites qui nous font des trous comme pour y enterrer un cheval, et nous avons de leur fumée noire. Nous ne circulons que la nuit et les attaques ne se font que de nuit, mais par ici c'est calme, et ce sont les troupes de première ligne qui les supportent, nous sommes en réserve au cas où ces lignes viendraient à céder. La dernière marche que nous avons faite pour venir ici, nous étions à Bray-sur-Somme, a été très pénible, il pleuvait la terre était tellement glissante qu'à chaque pas un homme tombait, un de nos officier s'est fait une entorse et a dû être évacué, j'avais réussi à ne pas tomber en route lorsqu'en passant à travers champs, je suis tombé à mon tour en voulant éviter un de ces trous faits par les marmites, mais pas de mal, j'ai repris ma place et en route pour le terrier où nous sommes arrivés à 4 heures du matin.
Pour la nourriture nous ne sommes pas réglés comme l'on pourrait croire, ainsi où nous sommes depuis 4 jours nous ne recevons notre manger que matin et soir, ne pouvant faire la cuisine sur place à cause de la fumée qui nous ferait découvrir, nos cuisiniers sont obligés d'aller dans un pays voisin pour y faire cuire la viande et faire le café, le Jus comme nous disons, qu'ils nous apportent avant le jour et le soir à la nuit. Dans le pays où vont nos cuisiniers ce n'est plus que ruines, il n'y a plus personne, tout ce qui n'est pas incendié par les marmites est détruit par les obus, de l'église il ne reste que le clocher qui menace ruine quelques pigeons qui ne savent plus où se poser et qui s'envolent à chaque coup de canon, tel est le tableau qui s'offrira aux malheureux qui reviendront dans ce pays et hélas quand les betteraves et les pommes de terre sont encore toutes dans les champs, ou personne ne pouvant s'aventurer pour les ramasser et qui seront perdues si les gelées viennent bientôt. ”
Carte postale : Hangest-en-Santerre (Somme) - Rue d'Arvillers représentant des passants dans la rue du village ; tampon d'arrivée ??-11-??
“  3 9bre 1914 [3 novembre]
Chère Marie
Je viens de recevoir une lettre d'Aline, elle est toujours sans nouvelles de léa, je crains qu'il ne soit mort [*1] car même prisonnier il aurait pu je crois donner de ses nouvelles. Envoi moi une ou deux enveloppes avec ton adresse à l'encre, celle que j'ai dans mon sac sont toutes collées par l'humidité. Je vous embrasse bien tous et ose espérer que vous êtes en bonne santé tous.
Louis
228e Régt Infie 20e Cie 53e Division de Réserve, Bureau central militaire de Paris ”
Lettre : 1/2 feuille simple A4 (A5), à entête "café Restaurant Hôtel de la pomme d'or Jonchery-sur-Vesle" (le même que celui sur lequel a été écrit son journal) écrite sur les 2 côtés au crayon de papier, repliée en 2 + petite bande pliée
“ Le 7 9bre 1914 [7 novembre]
Chère Marie.
Peut être saurez vous l'affreuse nouvelle quand cette lettre vous parviendra la mort de Léa est un fait accompli [*1], je le redoutais déjà à Bueil, mais n'osais en faire part à personne car quelle qu'ai été sa situation, il aurait toujours donné signe de vie. Il n'a plus rien à désirer le malheureux, mais cette pauvre veuve et ses enfants quelle triste réalité et que de peine seule dans sa situation et ses enfants trop jeunes pour espérer continuer sa culture et les élever en travaillant mais c'est là, la seule chose que l'on peut attendre de cette guerre qui n'avance guère contrairement aux premières idées que l'on s'en était faites. Quel deuil cruel pour notre pauvre mère à la fin de sa vie cela va peut être l'achever. Je n'ai rien reçu encore de vous. J'ai reçu hier une lettre de Blanche me disant que Modeste lui avait écrit que je ne vous avait pas donné mon adresse, il m'a semblé en effet ne pas l'avoir mise sur la lettre que j'ai écris vers le 12 Octo. Mais 2 ou 3 jours après j'ai envoyé une carte pour vous la donner ??, j'espère enfin en recevoir d'ici 3 ou 4 jours ainsi que mon petit paquet dont j'ai grand besoin, je vous demanderais encore peut être autre chose nous avons touché un peu de linge, il était temps la vermine nous tenait [??] presque tout.
Je vous embrasse bien tous. Louis  ”
Lettre : feuille double A5, écrite sur les 4 côtés au crayon de papier, pliée en 4
“ 13 Novembre 1914
Chère Marie,
J'ai reçu ta lettre du 21 Octobre il y a 2 jours seulement, j'en attendais une autre mais n'en recevant pas je fais réponse à celle-ci, il y a longtemps que j'aurais dû l'avoir reçue, mais nous avons des sous-officiers qui ne connaissent pas tous les hommes de la Cie et qui ne se donnent pas la peine de regarder sur leur liste, alors ils mettent inconnu sur les lettres dont ils ne connaissent pas les noms, et elles repartent pour revenir quelques jours après, c'est ce qui est arrivé à la tienne ainsi qu'à une de Gabriel qui est blessé et soigné à Corbeil, il a dû d'ailleurs aller vous voir. J'ai reçu le petit paquet par la poste il y a 5 jours, cela m'a fait bien plaisir, quant à l'autre que tu as mis au chemin de fer il sera long à venir, mais ça ne fait rien l'on nous a donné des chemises et des tricots nous avons pu nous nettoyer un peu, je pense que tu n'en as pas mis beaucoup dans ce paquet car mon sac est plein, je serais obligé de jeter ce qui m'embarrasserait de trop, et sale car mon sac est déjà plein et très lourd, avec la couverture, 2 sacs à grain pour mettre par terre en guise de matelas ou sur la tête quand il pleut. Heureusement jusqu'ici nous n'en avons pas encore eu beaucoup, le canon paraît empêcher la pluie surtout qu'il y a des jours que cela ne cesse, je n'ai pas encore été enrhumé, je ne souffre pas trop du froid aux pieds, mais s'il gèle cela va venir, nous sommes toujours à la même place, nous creusons toujours des tranchées. La plaine en est couverte, du côté des allemands c'est pareil, nous sommes à 5 ou 600 mètres les uns des autres, l'on ne peut bouger que la nuit. Quand il y en a un qui montre sa tête, il reçoit des coups de fusil tout de suite, nous en avons eu 3 de blessés il y a 5 jours, un coup de vent enlèva le brouillard d'un seul coup et les sentinelles furent découvertes avant d'avoir pu regagner les tranchées, aussitôt les coups de fusil leur arrivèrent comme la grêle. Je ne sais quant nous quitterons cette position car personne n'ose attaquer avec de pareils tranchées il y a encore trop de monde à tuer.
Je suis heureux que René retourne à l'école, je voudrais bien que Louise y aille aussi qu'elle ait au moins son certificat l'année prochaine mets les dans une pension s'il le faut. Dis leur que je leur recommande d'être bien sages et de bien travailler car ce sont de grandes filles maintenant. Je suis heureux que Lattes soit revenu mais s'il était pris par le conseil de révision tu aurais plus de bénéfice de reprendre Firmin et de lui faire faire la tournée à Lattes avec le tri, il pourrait partir directement de la maison et il vous aiderait un peu quant à la rue Carnot, il est probable que depuis plus de 20 jours tu as pris une décision c'est ennuyeux de rouvrir ce dépôt pour y faire probablement peu de chose cet hiver. Si tu as reçu l'argent des chevaux dis le moi, il faudrait que cet argent soit placé et que tu ne gardes que ce qu'il te faut, Modeste pourrait aller voir au C... L... place Clichy je crois qu'il doit y avoir de bons placements à faire en ce moment, ne serait-ce que des Bons du trésor, mon compte de dépôt est le Nº... Pour Immoos je ne sais pas comment vous vous arrangez, mange t'il avec vous Il est certain que cet homme doit être payé un bon prix s'il ne mange pas du tout à la maison, tu pourrais lui donner 180 ou 200 francs par mois, s'il mange 120 francs je crois qu'à ce prix il serait content. Tu leur souhaiteras bien le bonjour de ma part à tous deux, j'aurais bien voulu leur écrire mais c'est ma dernière feuille et ma dernière enveloppe. Tu ferais bien de m'en envoyer quelques unes par la poste avec un crayon, une demi feuille de toile émery [sic] et quelques grandes feuilles de papier à beurre une douzaine environ, et compléter avec une 1/2 livre de beurre dans lequel tu ajouteras un peu de sel, nous sommes mieux nourris depuis quelques temps, heureusement car l'on y aurait pas tenu. N'oublie pas de m'ajouter 2 journaux des plus nouveaux car nous sommes sans nouvelles nous ne savons rien de ce qui se passe. Je vous embrasse tous bien fort et vous souhaite bonne santé ainsi qu'à Modeste [*5].
Louis

Texte ajouté en bas de la 2ème page : au lieu de reprendre F... tu pourrais peut être trouver quelque belge dans le bureau de Paris où j'ai eu Jean l'adresse doit être dans le tiroir du bureau.  ”
Lettre : feuille simple A5, écrite sur les 2 côtés au crayon de papier, pliée en 4
“ Le 19 Novembre 1914 [à coté en petit] ci joint quelques primevères ramassées dans la gelée
Chère Marie,
J'ai bien reçu tes 2 lettres du 8 et 10 [13 ?] courant mais je n'ai pas encore reçu de paquet si je ne me trompe cela ferait 2 qui seraient encore en route puisque j'en ai bien reçu un, celui qui contenait 1/4 chocol. 2 sard., 1 mouch. 1 p. chauss. 1 foulard, il serait ennuyeux qu'ils soient perdus, mais il y en a qui en reçoivent qui sont écrits depuis un mois.
Je ne manque de rien, nous touchons de tout, hier soir à une loterie que notre lieutenant avait faite pour nous distraire un peu car depuis 3 jours nous sommes dans le pays ci-dessus, j'ai encore gagné un passe montagne sorte de capote en laine qui couvre toute la tête et le cou, c'est de ce pauvre pays que je t'ai parlé plusieurs fois il n'y a pas une seule maison sur plusieurs centaines qui sont entières, c'est pénible à voir, nous le quittons demain à 4 heures pour nos tranchées il fait très froid, le temps menace neige nous allons encore en voir de drôles
Pour la traîte de papier il me semble bien me rappeler qu'il y en a une qui n'a pas été payée en tout cas les traites payées sont avec les factures payées au pique-note. Pour ce nouveau fermier qui veut bien amener son lait à Sivry, il aurait pu être plus facile de l'amener à Blandy, si toutefois vous y retournez tu ne me l'as pas dit, mais il ne faut pas manquer la vente si toutefois cela ne donne pas de supplément de travail car on aurait assez de lait de ce côté l'on serait plus tranquille qu'avec Jullemier, quant aux chevaux dis-moi s'ils ne sont pas trop fatigués, j'écrirai à Mr Cudot [??] pour qu'il s'occupe de t'en envoyer un, j'ai en effet oublié de te dire que je l'avais vu [??] à Bueil, et qu'il te souhaitait bien le bonjour. Envoi une petite lettre à Jean si tu te rappelles son nom ou si tu le retrouve sur l'agenda et joints lui un billet de 5 francs. Je sais que Victorine et Blanche s'ennuient mais tant que Modeste pourra rester avec toi [*5] tu seras plus tranquille ou du moins je le pense. Pour tout ce qui est du lait aux propriétaires ou ailleurs et qui porterait intérêt il vaut mieux payer maintenant ; Je te récrirai aussitôt que j'aurai un peu de papier, c'est la mort de Léa [*1] qui m'a tout fait employer car j'ai été obligé d'écrire à plusieurs endroits.
Je vous embrasse bien tous.
Louis ”
Lettre : feuille double A5, écrite sur les 4 côtés au crayon de papier, pliée 2 fois en 2 (rubans de scotch sur les plis principaux)
“ Maricourt le 24 Novembre 1914
Chère Marie,
Je viens de recevoir ta lettre du 15 où tu me dis être surprise que je ne reçois pas tes lettres, tu ne devrais pas te faire du mauvais sang pour cela, il y en a bien d'autres que moi qui ne les reçoivent pas régulièrement ; j'ai un camarade qui vient d'en recevoir 11 en 2 jours, il y avait 6 semaines qu'il n'en avait pas reçu, il faut te dire que tous les services sont mal faits en ce moment et qu'il est très difficile de trouver quelqu'un de responsable, les réclamations sont à peu près inutiles, quant aux colis, ils arriveront par le chemin de fer, c'est long, il y en a qui mettent 30 à 40 jours à venir, quant à celui que tu as envoyé par la poste, tu pourrais voir si tu as le reçu, celui là a du faire comme plusieurs lettres être retourné par la faute d'un sous officier de notre Cie qui ne se donnait pas la peine de vérifier les noms des hommes de la Cie et qui renvoyait les lettres avec la mention inconnu à la Cie.
Quant à la mort de Léa [*1] c'est Aline qui me l'a écrit, vu que quelques jours avant, je lui écrivais qu'il ne fallait pas désespérer que Léa pouvait être prisonnier ou malade gravement, bien qu'en moi même je n'avais guère espoir, ce que je lui en disais c'était pour la consoler, aussi en m'informant de sa mort elle ne faisait que donner suite à la lettre que je lui avais écrite et dans sa douleur elle n'a pas réfléchi à la peine qu'elle causait. Console-toi donc c'est pour nous tous un mauvais passage, mais je ne désespère pas d'être bientôt débarrassé bien que nous n'ayons aucune nouvelle pouvant nous en donner la certitude.
Dis à Maria [*3] quand tu lui écriras que je pense souvent à eux deux bien que je ne leur écrive pas, je leur écrirai bientôt nous ne pouvons plus écrire dehors tellement il fait froid. J'écris en hâte à la cuisine où est installé le cordonnier qui me répare mes souliers. Autrement nous sommes toujours dans la même situation, 3 jours dans les tranchées, sans repos ni jour ni nuit et 3 jours dans le pays pour nous reposer. J'ai reçu une lettre de Bouvier et d'Henriette [*4] ils se portent bien tous deux, Henriette surtout paraît-il. Je n'ai aucune nouvelle de grand-mère.
Je termine en vous embrassant bien tous, je vous souhaite une bonne santé surtout pour Modeste [*5] qui doit lui aussi trouver le temps long.
Je te prie donc de ne pas te faire de mauvais sang pour mon linge j'ai tout ce qu'il me faut ou à peu près nous avons touché de tout jusqu'à des chaussettes.
Louis
Dis-moi dans ta prochaine lettre si les miennes sont toutes cachetées quand tu les reçois.  ”

Louis Jonot a été tué le 27 novembre 1914, à Maricourt (Somme)
*1: Léa, frère de Louis, est mort le 9 septembre 1914 au combat ;
*2: Taube, avion monoplan à ailes et queue de pigeon employé dès 1912 à des fins militaires. De l'allemand Taube (« pigeon », « colombe ») en raison de la ressemblance des ailes et de la queue de l'avion avec celles d'un oiseau.
*3: Maria devait être une cousine germaine de grand-mère Jonot-Poiblanc (fille d'une sœur de sa mère) ;
*4: Bouvier et Henriette (de Corbeil) étaient jeunes mariés et elle devait être enceinte de Gabriel ;
*5: Modeste, frère de Louis, est mort à Trois-Moulins, le 16 novembre 1914 ; Louis ne l'a jamais su.

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