J'ai emprunté à M. Massé, instituteur et rédacteur de la monographie de Voisenon (1888), ce texte résumant le parcours du Ru :
“ Le territoire de la commune de Voisenon est traversé par un ruisseau qui porte le nom de Ru de Rubelles, quoique ce soient les eaux de Voisenon qui en alimentent la source.
Cette source est située à l'ouest du parc du château du Grand-Jard, sur le territoire de Vert-Saint-Denis, qui s'étend jusqu'aux murs de ce parc. Mais la plus grande partie des eaux de ce ruisseau est fournie par des sources plus abondantes qui se trouvent dans les parcs des deux Châteaux de Voisenon. En effet le ru de Rubelles traverse ces deux belles propriétés, où l'on a utilisé son cours pour former de ravissantes pièces d'eau, dont les bords irréguliers sont encadrés par des arbres séculaires de tailles et de formes variées. Des allées superbes, des îlôts, des canaux, des ponts élégants ou rustiques contribuent à réjouir les regards des promeneurs ou des visiteurs dont l'admiration irait en s'accroissant s'il leur était permis de faire une délicieuse partie de bateau à travers ces petits lacs et ces détroits artificiels.
En sortant du parc du château de Voisenon le Ru alimente un abreuvoir et un lavoir publics qui rendent les plus grands services à la population de la commune et même à celle de quelques hameaux voisins. Puis le modeste ruisseau longeant toute la partie méridionale du village, y reçoit le tribut de quelques fontaines, dont l'une aux eaux tièdes, rend aux ménagères, en hiver, des services fort appréciés.
Il égaye de sa belle eau courante les petites propriétés situées sur ses bords. Ceux-ci, dans l'été, offrent au passant l'ombre délicieuse des grands peupliers qui les garnissent, et dont les rameaux forment un long rideau de feuillage toujours frémissant. Aussi, rien de plus agréable, de suivre, l'été, l'étroit chemin tout rempli de fraîcheur et de verdure qui paraissent jalonner ces hauts peupliers.
Après avoir traversé sous un pont la route de Lagny à Melun, le ruisseau quitte le village. Mais son eau ne cesse pas de rendre les plus grands services dans les jardins potagers que beaucoup d'habitants ont aménagé sur ses rives.
A 400 mètres du village il a été construit sur ses bords un moulin que son eau toujours abondante suffit à mettre en mouvement. [...] A 100m environ de cet ancien moulin, le Ru sert de limite aux communes de Voisenon et de Rubelles et ne tarde pas à couler sur le territoire de cette dernière qui lui doit probablement son nom. C'est au hameau de Trois-Moulins, dépendant en partie de cette commune, qu'il se jette dans l'Almont, petit affluent que la Seine reçoit à Melun, sur sa rive droite, en face de la maison centrale. ” (*2)
Le hameau du Petit-Jard est situé sur la commune de Vert-St-Denis. C'est là que le Ru du Jard prend sa source. Il coule au milieu d'une prairie le long d'un grand mur où subsistent les restes de plusieurs tours. Selon certains il s'agirait des restes du château du jard (XIIe), pour d'autres se sont les restes d'une ferme fortifiée : les tournelles. Une seule certitude ces tours sont anciennes et dateraient du XIIe siècle.
Un lavoir (en ruine au milieu des ronces) se trouve à la limite des propriétés à la sortie du village sur la route de Voisenon.
Abreuvoir et lavoir, au centre du village
© collection Lucien V.
Le Ru du Jard ressort des propriétés au centre du village, après avoir alimenté les bassins du parc du château. Il traverse un bassin qui servait d'abreuvoir pour les animaux, puis un lavoir.
Ru du Jard à la sortie du village, en direction du moulin
© collection Lucien V.
Sur la carte postale ci dessus, on voit un autre lavoir à découvert, on remarquera des hommes qui font la lessive : des blanchisseurs ? Est-ce à cet endroit que coule la source d'eau chaude ? Ce lavoir a fait l'objet d'une restauration, par l'Association Voisenon Information (A.V.I.)
Le ruisseau coule ensuite le long des jardins avant de sortir du village le long de la rue du moulin.
En 1161 LOUIS VII, roi de France toujours sans héritier, épouse en troisième noce Adèle De Champagne.
Le couple royal fait de fréquents séjours à Melun, résidence privilégiée des rois de France depuis le XIe siècle.
Au retour d'une journée de chasse dans les bois de Melun, le roi et la reine font une halte près du ruisseau du Petit-Jard.
La reine est séduite par l'endroit et décide d'y faire construire une demeure royale.
C'est dans son château du Jard qu'elle met au monde, le 22 août 1165, Philippe AUGUSTE l'héritier tant attendu, qui permit à la race capétienne de se perpétuer. Il sera sacré roi en 1179.
Afin de témoigner leur reconnaissance à Dieu, Louis VII et Adèle décident de donner des dépendances de leur demeure royale du Jard à des moines de Saint Augustin. Mais à la mort du roi en 1180, la reine ne fait plus que de courts séjours au Jard.
En 1203, elle invite les religieux du Prieuré de Pacy à venir s'installer dans son château du Jard afin d'y établir une abbaye : l'Abbaye Royale du Jard-la-Reine-lez-Melun
Elle fait bâtir une église d'architecture cistercienne sur le modèle de celle de Pontigny construite par son père, le Comte Thibault de Champagne.
En 1206, Adèle fait don de tous les biens qu'elle possède aux religieuses.
Les siècles se succèdent, et l'Abbaye prospère et s'agrandit grâce à la générosité de la famille Royale de France et des legs de nombreux bienfaiteurs. Contre ses dons, une double obligation, celle de prier les morts et de distribuer des aumônes.
Recueillir les pauvres, les nourrir, les vêtir, soigner les malades, ensevelir les morts, marier les pauvres filles, instruire et éduquer gratuitement les enfants des villages voisins : cette règle d'or sera suivie par les 33 Abbés successifs, de 1206 à 1790.
Sous LOUIS XIII, l'ancien château Royal qui forme l'aile centrale des bâtiments abbatiaux, est complètement reconstruit dans le pur style de l'époque.
C'est La Révolution Française qui va sonner le glas de l'Abbaye du Jard. Le 10 décembre 1790, est décrétée la vente de la Maison Abbatiale et Conventuelle du Jard, église et autres objets ou bâtiments en tant que partie du Domaine National.
“ L´abbaye du Jard suivit le sort des autres abbayes de France. En 1791, elle a été vendue à M. de Vergès, qui a rétabli le château et qui en 1793, a vendu cette propriété à M. le baron Rouillé d´Orfeuil, ancien intendant de Champagne, qui se plut à l´embellir et parvint à produire sur un terrain jadis monotone, les paysages les plus variés, les plus gracieux.On ne connaît pas précisément l'emplacement du château : certains le situent au Petit-Jard, d'autre à l'emplacement de l'Abbaye dont le château actuel du Centre de Jard en est le seul vestige. En comparant la gravure ancienne de l'Abbaye (ci-dessous) et la photo de la façade actuelle du Centre du Jard, on voit qu'il s'agit bien du même bâtiment car l'emplacement des fenêtres est identique.
Un beau parc, percé de routes de chasses et rempli de rochers pittoresques ; un grand canal alimenté par des sources d´eau vive, traversant un parterre planté avec goût par le nouveau propriétaire, contribuent à faire distinguer cette habitation comme une des plus agréables de la contrée.
La famille de M.r Rouillé d´Orfeuil est restée propriétaire du château du Jard jusqu´en 1860.
A cette époque il a été acquis par M. Renard propriétaire actuel qui a complètement remanié l´édification du château et du parc selon le goût moderne.
M. Renard a augmenté le parc de toute la superficie qu´occupait l´ancienne ferme de l´abbaye, qu´il a acquise et complètement rasée. ” (*2)
Pendant la Révolution française, le domaine du Jard est acquis le 4 janvier 1791 par Monsieur Jacques Duverger (qui devient Monsieur Jacques Claude de Vergès sous la Restauration). Celui-ci détruit l'église et les bâtiments de l'abbaye, pierre par pierre. Seul subsiste le château Louis XIII. Le village de Voisenon aura perdu église et cimetière qui aujourd'hui n'ont toujours pas été remplacés. Le château passera ensuite entre les mains de plusieurs propriétaires. Le 28 janvier 1928, Madame Veuve Jomini vend le domaine à la société anonyme du Jard représenté par Monsieur Henri Williams Jurgens, grand industriel parisien, président de la société Unilever. Suite à un drame familial, Monsieur Jurgens fait don de la propriété à l'association des paralysées de France en 1949. Depuis 50 ans le Centre du Jard ouvre ses portes aux élèves handicapés moteurs.
Dans le parc on peut encore voir une cave, à l'emplacement de l'église abbatiale, ainsi que les restes d'une glacière.
Le château a appartenu à la famille de Fusée de Voisenon jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Seigneurs de Voisenon depuis le XVe siècle, cette famille compte parmi ses membres un homme célèbre : l'abbé Claude-Henri de Fusée de Voisenon, né à Paris (paraoisse Saint-Paul) en 1708, mort au château de Voisenon en 1775. Avant dernier abbé de l'abbaye du Jard, il a été : historiographe des petits-fils de Louis XV, ami de Voltaire, abbé galant et poète épicurien, auteur dramatique. Il a laissé des comédies, des opéras, et des poésies fugitives. Il fut élu à l'Académie Française en 1762.
Au début du XIXe, le château qui avait gardé jusque-là un style Louis XIII très pur fut restauré dans le style néo-grec qu'il a conservé encore après les aménagements effectués par deux autres propriétaires :la Marquise Des Ligneries et Monsieur Reithlinger.
On notera que la Marquise des Ligneris créera en 1887 une École Privée de filles, située rue Grande. (*2)
En 1930, les religieuses de Nazareth s'installent à Voisenon et ouvrent un pensionnat de jeunes filles. En 1940 le château est occupé quatre ans par les Allemands. L'école reprend en septembre 1944 et devient mixte en 1975.
Dès la sortie du village le Ru est canalisé et prend de la hauteur avant d'arriver au Moulin de Voisenon.
Moulin de Voisenon, moulin farinier (à eau) de M. Pierre Pascal Galle, en l'an X (*1)
Depuis quelques années, ce moulin n'est plus exploité comme usine. Il a été transformé en une maison de culture sans avoir, bien entendu, perdu son nom de Moulin de Voisenon. [...] J'ai parlé plus haut du moulin de Voisenon aujourd'hui non exploité et appartenant à Madame la Marquise des Ligneris. Il y a peu d'années, M. Dubourguet fabricant d'encriers à Paris en était propriétaire. Celui-ci avait utilisé la force motrice de l'ancien moulin pour faire fonctionner des scies et des tours mécaniques qui débitaient et préparaient les bois employés dans son industrie. Une dizaine d'ouvriers étaient occupés dans cette usine. (*2)
L'ancien moulin (ancienne ferme) est aujourd'hui devenu un lieu de réception avec location de salles : “ Le moulin de Voisenon ” et “ le Pigeonnier ”. Les bâtiments sont en cours de restauration.
(*1) État des moulins à farine de Seine-et-Marne en l'an X (A.N. F20 294) parû dans le bulletin Nº31 du C.G.H.S.M.
(*2) Monographie de la commune de Voisenon, rédigée par l'instituteur du village par Narcisse Massé (1888) ; publication (2006) A.V.I. (Association Voisenon Information), éditions Amatteis