L'odeur du buis, le son du glas,
Un temps de neige, un soir d'ivresse
M'attristent moins que la tristesse
Des moulins qui ne tournent pas !...
(Gaston Couté : Les Moulins Morts)
Dans cette étude je me suis interessé, dans un premier temps, au village de Trois-Moulins (77), aux activités qui s'y déroulaient (principalement celles ayant disparues) et plus particulierement aux moulins. Dans un deuxième temps, j'ai étendu cette petite étude aux villages alentours, avec comme fil conducteur les cours d'eau de la région proche (triangle Melun, Voisenon, Vaux-le-Vicomte). Actuellement j'ai encore élargi cette zone à la vallée de l'Ancoeur (de Nangis à Melun).
La partie étudiée se situe dans le sud de la Brie au nord-est de Melun : la Brie Française (par opposition à la Brie Champenoise qui dépendait des Comtes de Champagne).
Cette région, au centre du bassin parisien, sur la rive de la Seine opposée à la Forêt de Fontainebleau, est située sur un plateau calcaire. On retrouve des affleurements de grès et du sable ; ceux ci ont été exploités dans les constructions. On trouve aussi des marnes et des meulières dans les vallées. Le calcaire de Brie, calciné dans des fours (fours à chaux), fournit une chaux de bonne qualité pour faire les mortiers. Au Moyen-Age, la chaux de Melun était réputée jusqu'à Paris.
Laissons Lavoisier (*1) nous présenter la géologie de la Brie :
[ ] Cette plaine, depuis Rozoy-en-Brie jusqu'à Corbeil et Melun [ ], est partout de même nature ; elle est même assez bien de niveau ; elle ne s'incline pas dans toute cette étendue ; on trouve à sa surface, ainsi que dans toute la Brie, une terre limoneuse qui sert de terre végétale ; elle est de la nature de celle où se tire la meulière ; on y trouve peu de pierres ; celles qu'on y rencontre sont de la nature de la meulière et les villages en sont bâtis. C'est principalement dans le haut, sur les bords des vallées, qu'on trouve les meulières ; on en trouve entre Rubelles et Grand-Moisenay [ ]Les eaux de ruissellement s'infiltrent dans le calcaire et ressortent sous la forme de petits cours d'eau qui se rejoignent pour former l'Ancoeur, qui rejoint la Seine à Melun. Ils ont un débit relativement constant, ce qui a facilité leur utilisation, en particulier comme force motrice pour les moulins. Une partie des eaux de l'Ancoeur disparait parfois dans des gouffres, ce qui lui donne un débit et une largeur variable tout le long de son cours. On parle par endroit de véritables rivières souterraines (sous Saint-Germain-Laxis et Trois-Moulins, en direction de la Seine) et même de torrents souterrains (voir la carte sur le site de Nangis). Le bassin versant de l'Ancoeur est composé, pour 63%, de cultures et, pour 27%, de bois (source IAURIF).
Si l'on descend de la plaine dans les vallées, on trouve précisément, comme dans toute la Brie, la pierre à chaux dans un tuf marneux [ ]
On observe principalement la pierre à chaux à la côte, depuis Melun jusqu'à Sainte-Assise ; la côte y est fouillée à beaucoup d'endroits, et l'on y cuit de la chaux qu'on envoie à Paris. [ ]; on en voit aussi quelques-unes à la côte le long de la petite vallée à Rubelles, à Grand-Morsenay et aux Trois-Moulins, près Maincy.
Ce qui a été dit jusqu'ici ne suffirait pas pour donner une idée complète de la nature du terrain, si je ne parlais de plusieurs buttes de sable qui sont posées sur cette plaine [ ]. On trouve une de ces buttes à un quart de lieue sud-est de Vert-Saint-Denis ; elle s'élève environ de 80 pieds au-dessus du niveau de la plaine ; elle est entièrement composée de sable et de grès ; on trouve aussi des grès au pied de cette butte du côté de Vert-Saint-Denis. A un petit quart de lieue est-sud-est de celle-là, on en trouve une autre moins élevée, composée de la même façon. L'enclos de l'abbaye Dujard, qui s'élève un peu au-dessus du niveau de la plaine, contient aussi du sable et du grès.
Entre les villages de Sivry, Courtry, Milly et Maincy, on remarque à l'est de Melun six petites buttes composées de même de sable et de grès ; elles n'ont pas plus de 30 à 40 pieds au-dessus du niveau de la plaine ; toute la plaine en cet endroit est couverte de sable et de grès ; [ ]
Vers 1638, Nicolas Tassin nous trace une carte de la Brie et un plan de Melun, ville fortifiée :
Cette carte de l'Académie Royale des Sciences est intéressante pour le tracé du relief, des cours d'eau, et pour l'orthographe du nom des villages et des lieux-dits :
L'abbé Guilbert a étudié la forêt de Fontainebleau, les villes et villages environnants, et a tracé cette carte avec le nom des propriétaires en 1731 :
L'abbé Outhier a representé les limites religieuses du diocèse de sens (1741), la représentation s'approche des cartes de Cassini :
Les cartes de Cassini (datant de vers 1750) sont intéressantes, on distingue bien le tracé des cours d'eau, les emplacements des moulins, églises, châteaux. Par contre, le tracé des allées dans les parcs des propriétés est mieux représenté que celui des routes et des villages :
De tous temps l'eau a eu un rôle important dans la vie de nos ancêtres. Les villages sont en général installés sur des cours d'eau. On y trouve des lavoirs (au centre ou à la sortie des villages), des abreuvoirs pour les animaux (l'eau consommée par les villageois provient des puits), des ponts ou des gués (ou les deux : ponts pour les piétons et gués pour les animaux et les chariots), des moulins à eau. Les lavoirs et les ponts sont assez récents (XIXe siècle). On trouve beaucoup de jardins le long des cours d'eau (facilité d'arrosage) ; ainsi que beaucoup de belles propriétés (châteaux) : l'eau à un rôle décoratif avec les bassins d'agréments, des cascades et autres fontaines décoratives. Les fleuves ont servi de voie de transport à une époque où les transports terrestres n'étaient pas surs (la Seine entre Melun et Paris par exemple).
Le mot moulin désigne les endroits où on utilise la force de l'eau, du vent, des marées pour moudre le grain afin d'obtenir la farine mais aussi, par extension, actionner des machines : marteau pilons (foulons à drap, moulins à papier, taillanderies), scieries, pompes à eau (moulins Hollandais)...
La Brie étant une région agricole on y trouve principalement des moulins à moudre .
Historique : Ce sont les romains qui découvrent le moulin à eau, en Asie Mineure, au 1er siècle avant J.C et l'introduisent en Italie. De là, il gagne le reste de l'Europe.
Les premiers moulins à eaux sont à roue horizontale. L'eau courante de la rivière anime des pales fixées sur un axe, ce dernier actionnant à son tour une meule mobile reposant sur une meule fixe, dite dormante. Le grain est écrasé entre ces meules. Quelques siècles plus tard s'impose la roue verticale, par le jeu des engrenages le mouvement de rotation verticale est transformé en rotation horizontale.
Au début du XIe siècle s'instaure la banalité (*2). Les moulins, dits banaux, appartiennent aux seigneurs, ou au roi, qui obligent leurs sujets à venir y moudre leur grain moyennant le paiement d'un droit (impôt sur les cultures) prélevé directement sur la mouture, qui constitue pour ses propriétaires une source de revenu importante.
Dans la région étudiée, les moulins à eau étaient les plus importants. On trouve des moulins à vents dès que l'on s'éloigne des cours d'eau.
A titre anecdotique, on trouve dans la vallée de l'Almont des pressoirs à pommes (à raisins ?) sous la forme d'une meule, qui roulait dans une rigole en pierre (Moisenay, Blandy-les-Tours), entraînée par un cheval (ou des hommes ?).
A roue horizontale avec des pales plates, des pales en forme de cuillers ou de godets (representé ici en forme de cuillers) : on ne les trouve pratiquement que dans le sud de la France.
A roue verticale : pratiquement tous les moulins de la moitié nord de la France.
Ils sont divisés en 4 catégories :
Par en dessous (au fil de l'eau) : l'eau passe pratiquement sans chute sous la roue ( roue à pales ). C'est le courant qui fait tourner la roue. Cette technique était sans doute celle des moulins sur la Seine, qui n'étaient pas encore canalisée et avait sans doute un débit très variable. Les roues pendantes permettaient un réglage de la hauteur en fonction de la hauteur d'eau. On peut aussi mettre dans cette catégorie les moulins-bateaux, utilisés sur la seine à Melun, Paris.
De côté : l'eau arrive sur la roue (assez large) en dessous (ou au niveau) de l'axe de rotation de celle ci ( roue à aubes ). Elles sont utilisées sur les rivières ayant un débit moyen et un faible dénivelé (les plus courants en région parisienne) comme ceux sur l'Almont.
De poitrine : l'eau arrive à environ les ¾ de la hauteur de la roue ( roue à augets ).
Par au-dessus : cette technique, plutôt adaptée aux moulins en montagne, s'applique sur les cours d'eau de faible largeur et de faible débit, avec un dénivelé très important afin de récupérer une énergie suffisante. L'eau arrive d'en haut par un chenal et remplit les augets de la roue ( roue à augets ), sortes de caissons de bois superposés. C'est le poids de l'eau qui fait tourner la roue régulièrement sans à coup. Les moulins de Trois-Moulins étaient sans doute tous les trois de ce type avec une chute d'eau supérieure à 4m de hauteur. Pour ces derniers il a fallu dériver le cours naturel du ru de quelques centaines de mètres pour obtenir que le dénivelé naturel soit concentré en un seul endroit. Je ne connais pas d'autres moulins de ce type dans la région (un autre, cité dans le livre des Moulins de l'Yerres : Moulin de Soignolles).
En général les moulins étaient construits sur un bief , canal de dérivation, afin de pouvoir régler le débit de l'eau pour faire tourner ou arrêter la roue. En période de crue (ou de gel) cela permet de détourner le courant. Pour d'autres (ceux de Voisenon, Trois-Moulins) on a détourné définitivement le cours du ruisseau à flan de vallée et on ne trouve plus de traces de l'ancien lit, ce qui pose des problèmes d'entretiens en cas d'obstruction du chenal (risques d'inondations). Sur ces derniers il existe un canal de dérivation ( canal de décharge à ciel ouvert ou en conduite) lorsque l'on ne veut pas entraîner la roue.
L'environnement des moulins à eau ressemble à celui des fermes de la région : c'est à dire plutôt fermé. L'ensemble des bâtiments est disposé autour d'une cour fermée.
La construction est massive, constituée de blocs de grès rectangulaires pour les angles et sous les poutres, le reste des murs extérieurs est composé de pierres de la région.
Le bâtiment principal donne sur une place ou cour commune pour faciliter les chargements et déchargements des sacs de blés ou de farines. Il a plusieurs étages.
La roue est située sur le côté du bâtiment (abritée sous un auvent ou à l'extérieur). Au rez de chaussée, en bout de l'arbre de roue, se trouvent les engrenages ( rouet et lanterne ) qui transmettent le mouvement de rotation vers les étages. Au premier étage, au-dessus de ces engrenages, se trouvent la (ou les) paire(s) de meules horizontales.
Suivant l'importance du moulin, un ou deux étages supplémentaires où sont installés les autres mécanismes du moulin.
L'habitation est séparée du moulin (bâtiment, souvent plus bas, collé à l'autre) sans doute à cause des risques importants d'incendie.
Dans la cour on trouve, comme dans une ferme : une grange et (ou) une remise (pour ranger les charrettes et le matériel), une écurie (pour les chevaux), un toit à porcs (nourris avec les déchets du moulin), des poulaillers, clapiers à lapin, four à bois, cave...
Les terrains environnants servent de pré pour les bêtes, de jardin potager, de verger. Dans les actes étudiés on trouve aussi des terrains qui étaient peux être exploités pour des cultures (céréales?) afin de nourrir les animaux (dans un acte de vente du Moulin-du-Roy de 1833 on trouve un terrain de plus d'un hectare situé à Maincy : le pré du Roy ).
Les meuniers n'étaient pas forcement populaires, ils étaient souvent accusés de vol : le grain avait moins de volume une fois moulu et, de plus, une partie était prélevée pour le seigneur et/ou le meunier. Ils formaient une corporation à part et il n'est pas rare de les voir se marier entre meuniers (voir exemples è Saint-Méry). En plus du meunier et de sa femme on trouve d'autres métiers associés : le garde-moulin, valet de meunier des environs de Paris ; le chasse-mulet ou chasse-moute, chargé de transporter le grain ou la farine. Les déplacements devaient être importants. A Saint-Germain-Laxis il y a encore un chemin des meuniers , traversant la commune du nord au sud, alors qu'on ne trouve pas de traces de moulins. Les moulins les plus proches sont sans doute ceux de Rubelles.
Il existe dans la région, en dehors de la zone étudiée, 2 moulins, classés Monuments historiques , intéressants à visiter :
*1 : Observations minéralogiques faites aux environs de Melun, Corbeil et Arpajon, pour servir à compléter la carte des environs d'Étampes et de Fontainebleau (août 1766) par Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794) Source CRHST/CNRS
*2 : Seigneurie Banale ; droit de ban : C'est le droit royal de commander, de contraindre ou de punir. A partir du Xe siècle les seigneurs, ainsi que certaines communautés religieuses, s´approprièrent ce droit. Le ban correspond à la zone où s´exerce ce droit, en général la seigneurie (la zone d´une lieue autour se nomme la banlieue ).
Le droit de ban est supprimé le 17 juillet 1793. Cet usage fut sûrement excessif pour que le mot banal prenne le sens qu´il a aujourd´hui.