Aujourd´hui disparues, ce n´est pas à une mais au moins à deux fontaines que cette page est consacrée. De la première il ne reste qu´une photographie et de la seconde un tableau peint par Alexandre Antigna, peintre du XIXème siècle, originaire d´Orléans, dont les tableaux représentent généralement des scènes de la vie courante : au moins 2 de ses tableaux sont associés à la condition de vie au moment de la Révolution de 1848, l'Éclair (Paris, musée d'Orsay) et l'Incendie (Orléans, musée des Beaux-Arts)...
Mlle R. M. à la première fontaine (vers 1930) © archives Jonot |
Pour la seconde, disparue et tombée dans l´oubli, une exposition organisée à l´automne 1978, au Musée des Beaux-Arts d´Orléans pour le centenaire de la mort d´Alexandre Antigna, nous la ramène sur le devant de la scène.
Elle était située près du carrefour actuel de la " rue des Trois-Moulins " (Melun) avec la " rue des Carmes " et le " boulevard de l´Almont " (feu tricolore). Elle a sans doute été supprimée au moment de l´aménagement de ce carrefour. Pour les gens qui l´ont connue, l´eau sortait d´une gueule de lion. Par contre, au moins depuis 1910, elle n´avait plus la forme représentée sur le tableau d´Antigna. On peut supposer qu´elle a été transformée suite à des aménagements ou des intempéries.
Le catalogue de l'exposition mentionne des informations données par M. Louis Perret. Ce dernier, peintre melunais, a t´il été contacté par le musée ? Toujours est-il qu´à partir de cette date, il entame une véritable prospection sur le terrain, interrogeant les personnes âgées du village. C´est ainsi qu´en février 1979 il vient rendre visite à Mme Louise Jonot, au Moulin du Roy, accompagné de son ami Paul Vaillant, autre artiste local ayant déjà peint le moulin pendant la dernière guerre. Là il découvre la photo de la première fontaine et entend parler d´une hypothétique photo de la seconde, photo qui à ma connaissance n´a pas encore été retrouvée. De cette visite naît une amitié entre les 2 personnes et un échange de correspondance sur les thèmes : de la fontaine, de Cézanne, d´Henry de Monfreid et du Moulin du Roy. M. Perret ira jusqu´à écrire un poème sur cette fontaine, qui paraîtra dans le Bulletin Nº1 des Amis du Vieux Maincy avec un article sur la fontaine.
M. Perret ne s´arrête pas là, il fait paraître dans la “ République de Seine et Marne ” plusieurs articles sur le sujet, dont un appel à la mémoire des lecteurs. Il publiera aussi un article dans le journal de la région d´Orléans : “ La République du Centre ”. Il rencontra aussi d´autres personnes âgées, dont Mme Sacré (Paris), ancienne habitante d´une maison proche de la fontaine, qui lui donnera une photo du quartier sur laquelle on distingue celle ci lors de l´hiver 1959.
Je dédie cette page à M. Louis Perret (aujourd'hui décédé), peintre local, qui a mené une véritable enquête pour retrouver la trace et la localisation de cette dernière fontaine.
“ La Fontaine des Trois Moulins, à Melun ”
par Alexandre Antigna (1875)
© musée des Beaux-Arts d'OrléansLégende figurant dans le catalogue de l'exposition du musée des Beaux-Arts d'Orléans (1978) :
107 LA FONTAINE DES TROIS MOULINS, A MELUN (1875)
T : H. l.060 : L. 0.770.
S. b. d. : " Antigna ".
Exp. : Paris, Salon de 1875. Nº 27.
Bibl. : Stop, 1875.
(texte inclus dans le texte ci-après)
Collection particulière.Voici l´article que M. Louis Perret fit paraître dans le journal Orléanais en 1979 :
Peinte par Antigna, la fontaine des Trois-Moulins à Melun n´est plus
Pourquoi ne pas perpétrer en ces lieux connus de Cézanne et Monfreid le souvenir de l´artiste ?
Les visiteurs qui ont vu, l´automne dernier, au musée des Beaux-Arts d'Orléans, l'exposition Alexandre Antigna, peintre marié à Paris, le 5 février 1861, à Marie-Hélène Pettit, une melunaise du Marché à l'Avoine, où elle est née en 1837, n'ont pas nécessairement prêté d'attention particulière à une toile de cet artiste, présentée comme la “ Fontaine des Trois Moulins, à Melun ”, du fait qu'il n'existait sans doute pas tellement de Melunais parmi eux. L'uvre n'était pas des moins dignes d'être remarquées, mais si on ne lui a pas accordé d'intérêt majeur quant à la localisation de son sujet, on a, du moins, pu lire ce que le catalogue en disait, sous la plume de M. David Ojalvo, conservateur des musées d'Orléans.
“ Ce tableau a, sans aucun doute, figuré au Salon de 1875, puisque Stop, dans le numéro du journal amusant du 22 mai 1875, p. 4, consacré au Salon, l'a reproduit en caricature, mais en le confondant avec l'envoi de Hélène Antigna (nº 28 du livret) : “ Tant va la cruche à l'eau ”. Il indique d'ailleurs comme nom d'auteur : Mlle Antigna. Il ne peut s´agir que d'une confusion ”, poursuit M. Ojalvo (très certainement et cela va de soi). M. Ojalvo observe ensuite : “ La signature est celle d'Alexandre et non celle d'Hélène. D´autre part, selon des renseignements que nous a fournis M. Louis Perret, habitant Melun, la Fontaine des Trois Moulins, aujourd'hui disparue, était signalée par une borne dont l'ornement principal était une gueule de lion. Or, ces éléments se retrouvent dans la fontaine représentée ici. Nous pensons donc que nous sommes bien en présence du tableau exposé par Alexandre au Salon de 1875 (nº 27). ”
Il n´en restait pas moins à persévérer dans la voie des recherches. Nos investigations nous permirent de conclure qu'il y avait deux fontaines des Trois Moulins, sur le même chemin et sur la commune de Melun. Le tableau d'Antigna représente l'une d'elles, et avec une femme qui, si elle n'était penchée pour puiser de l'eau, serait, étant d'une bonne taille normale, à quelque trois décimètres près, aussi grande que la fontaine dont le peintre nous a légué l'image.
La fontaine qui a été peinte par Antigna justifie son appellation des Trois Moulins, même si elle n'est pas la plus rapprochée du hameau du même nom que se partagent aussi les communes de Rubelles, un moment célèbre par sa faïencerie, et de Maincy, qui l'est toujours par son château de Vaux-le-Vicomte. Il s'agirait donc de la plus proche de Melun-ville. Cette dernière se trouverait, aujourd'hui, en deçà de la déviation du pont de la R.N. 5 bis, et l'autre, au-delà, mais à assez peu de distance.
La détermination de cet emplacement que l'on peut estimer décisif, a constitué un petit problème dont la solution aurait dû couler de source, si l'on peut ainsi s'exprimer, mais il nous fallut faire appel à nombre de personnes, qui, par leur âge et, partant, par leurs notions propres, pouvaient posséder quelques souvenirs. Ainsi fut du moins acquis un point : celui de l'ornement consistant en une gueule de lion. Là, si les deux fontaines furent enjolivées de la sorte, à quelque degré près dans les dimensions des gueules de lion.
Plusieurs érudits locaux se sont empressés de nous prêter leur concours. Des personnes ayant habité le quartier, ou y demeurant encore ce sont toutes des dames ont également manifesté ardeur et persévérance à nous être agréables dans le même esprit. Nous les en remercions vivement, d'abord Mme Jonot, qui nous a communiqué une photographie. Cette image est la première à nous aiguiller sur la voie de la certitude, quant à la fontaine du haut. Une autre personne enfin, Mme Sacré, qui demeure désormais à Paris, après avoir habité sur les lieux, nous en a procuré une de la fontaine la plus rapprochée de Melun-centre. Elle estime, comme nous le supposions de longue date, que la fontaine, telle que l'a vue Antigna, avait été tronquée, par nécessité ou pour autre cause, et que de ce fait, son débit partait, depuis, d'un niveau inférieur, tout, en ayant conservé la gueule de lion dont jaillissait le jet. Il ne s'agissait plus déjà d'un monument, mais d'une ruine ce qui paraît probant,
à gauche, la fontaine à gueule de lion représentant
les vertiges supposés de celle qu'a peinte Antigna
© photo M. Sacré (hiver 1959)
Placer le curseur sur l'image pour l'agrandir.De quelle époque dater la fontaine peinte par Antigna et érigée selon les caractéristiques d'une stèle de style monumental classique ? La réduction de ses proportions ne peut, de toute façon, avoir été effectuée qu´après 1875, date où elle fut peinte, et époque à laquelle elle portait toujours son larmier surmonté d'une pyramide.
Il aurait été intéressant que Cézanne, qui passa plus que vraisemblablement devant, pour aller, à peu de distance, peindre son pont de Maincy, la représentât à son tour, flanquée de baigneuses ou de nymphes : il n'en manquait pas, dans les parages, qu'elles fussent lavandières, ou, le cas échéant, dames de plus haute extraction. Quant à Henri de Monfreid, plus connu par la plume que par le pinceau, et pourtant bon peintre, par l'une comme par l'autre, il aurait pu, si sa profession de laitier lui en avait laissé le loisir, du temps (jusqu'en 1910) qu'il était, lui-même, hôte du Moulin du Roy, témoigner par l'image : il n'aurait pu, toutefois, nous montrer que ce qu'ont vu ses contemporains encore vivants, et qui n'est plus.
En conclusion, faisons confiance aux chercheurs locaux susceptibles de fournir les dates d'érection de la fontaine en question, des modifications des structures de celle-ci, et, à l'occasion, d'apporter des témoignages écrits d'époque, des photos, également, des débuts de la seconde partie du XIXème siècle contemporain des dernières années d'Antigna, ou encore des images d'après peintres ou dessinateurs quelle que soit leur valeur de ce qu'elle fut, dans son passé lointain, au sein d'un paysage qui n'est pas sans charme, même dans le décor en partie nouveau, imposé par les lois de la circulation et de l'habitat.
Un voeu qu'il n'est pas interdit d'émettre, car il n'est pas irréalisable, est que cette fontaine soit reconstituée à un endroit disponible l´eau ne manquant pas et qu'elle rappelle le souvenir d'Alexandre Antigna et de son épouse, née Pettit, également peintre, par une simple mention, faute d'un double médaillon, ce qui serait beaucoup plus coûteux. Tout près aussi, très près même, devant le Moulin du Roy, pourrait être rappelé le séjour audit lieu, pendant deux ans, de Henri de Monfreid, et, sur les bords de l'Almont, au pont même qu'il a peint, en contrebas, celui de Cézanne, qui fut melunais d'avril 1879 à mars 1880.
Autre vue du quartier de la fontaine, en regardant vers Melun,
sur une carte postale ancienne représentant
le “ Tacot de Verneuil ”, rue de Trois MoulinsFasse donc le Ciel que ces lignes tombent sous les yeux d'amis des arts et des lettres, dans la région et en haut lieu. L'endroit a valu de remarquables uvres d'Antigna et de Cézanne, et Monfreid a écrit dans “ Le Feu de Saint Elme ”, résumé de son existence fertile en aventures : “ Je fus séduit par la campagne d'alentour, verdoyante et fleurie comme elle l'est au mois de juin ”. Or les tableaux d'Antigna, puis de Cézanne le confirment : ils respirent les plus beaux mois de la fin du printemps dans les années où ils s'épanouissent à souhait.
Que penser de ces fontaines et de ce tableau ? Le Musée d'Orléans n'a pas pu m'en dire plus et je n'ai pas réussi à en avoir une photo en couleur ! Une certitude, l'auteur l'a appelé “ Fontaine de Trois-Moulins ”. Par contre, par soucis esthétique, il a pu en modifier la taille ou la forme. Pour le personnage, s'agit-il d'un modèle ? de sa femme ? ou d'une habitante du quartier ?
Autre certitude, il y a bien eu 2 fontaines, dont au moins une avec une gueule de lion. Mais en regardant de près la photo, cette gueule ne semble pas ressembler à celle du tableau !
Quoi qu'il en soit, cet article a permis de se pencher sur un sujet qui devait être important pour la vie locale, l'alimentation en eau potable pour les gens du quartier. Cela a continué jusqu'à la moitié du XXème siècle, presque jusqu'à leur disparition... Le voeu de M. Perret de voir réinstaller une fontaine n'est pas irréalisable, on en trouve dans les catalogues d'aménagements de jardins et parcs qui sont assez ressemblante à celle du peintre... Cela pourrait compléter le réaménagement qui vient d'avoir lieu pour le Pont de Cézanne.