retour Accueil Charles Georget, le peintre de Farcy-lès-Lys

Farcy-lès-Lys était un hameau de Dammarie-lès-Lys, il a été englobé dans son agglomération. Il se situe au niveau des Archives Départementales et de la Cartonnerie, au niveau du carrefour avec les rues Henri Lours et rue du Capitaine Bernard de Poret, sur l'Avenue Charles Prieur (D372). C'était le lieu de passage des personnes qui se rendaient de Melun à Barbizon, ou vers Ponthierry. A l'orée de la forêt de Fontainebleau, dominant la vallée de la Seine, y vivaient quelques artistes dont Charles Georget et sa femme Elisa, artiste peintre aussi. J'ai créé cette page sur cet artiste car il a peint le Pont de Maincy (situé en bas de Trois-Moulins, sur l'Almont), à la même époque que Cézanne, mais dans un genre très différent. Je ne suis pas un spécialiste mais je pense qu'on a affaire avec un Naturaliste. Dans mes recherches, j'ai trouvé une notice sur cet artiste, datant de 1905. Comme elle est bien écrite, de plus par un melunais, j'ai choisi de la recopier intégralement.

CHARLES GEORGET :

Ch. Georget

Farcy, semis de chétives maisons en bordure de la route de Melun à Milly, s'allonge à la suite des antiques ruines de l'abbaye du Lys, au milieu de châteaux bourgeois, carrés et massifs. On dirait d'un hameau rustique, qui se serre contre les villas et les gentilhommières. Un sentier y conduit à la forêt, un autre descend vers la Seine, et le clair village respire au soleil, rafraîchi par le voisinage de l'eau courante.
De bonne heure, tandis que Barbizon attirait et retenait sous ses futaies et dans ses clairières les maîtres du paysage moderne, Farcy, plus modeste, offrait à d'autres talents épris de solitude des ombrages moins visités, des horizons bien variés, et, pour le plus grand charme des tableaux, du ciel, de la plaine et de l'eau. C'est ainsi que le discret village était devenu le coin préféré de Jules Gélibert, peintre de vénerie, émule d'O. de Penne, de Benjamin Constant, qui y brossa entre autres La Justice du Schérif, de Firmin Girard, l'auteur justement renommé du Marché aux fleurs, de Charles Georget, de Mme Elisa Georget, d'Emile Renard, de Jules Alby, de Degallaix ; et quand on écrira un jour l'histoire du paysage français au XIXe siècle, à côté des résidences illustres, Barbizon, Chailly, Fontainebleau, Marlotte, Samois, il conviendra de mentionner Farcy-lès-Lys, où travaillèrent tant de bons maîtres de la palette, et d'accorder un juste souvenir au peintre Charles Georget, l'objet de la présente notice, composée avec les indications, de Mme Elisa Georget, la veuve du peintre, et les souvenirs de ses amis.

I

Jean-Charles Georget est né à Paris, le 27 mars 1833.
Orphelin de très bonne heure, il fut confié à un tuteur, M. Martial, homme honnête, indifférent et froid, qui administra scrupuleusement son avoir, mais ne lui donna aucune affection. L'enfance de Ch. Georget fut sans but et sans joie, comme celle de la plupart des Sans famille, qu'on interne dans un collège. Personne ne s'inquiéta de lui, de sa santé, de ses progrès. Lui-même s'intéressa médiocrement à l'étude ; il se sentait isolé, et dans cette pension Gillon, à Belleville, il n'aima que le dessin. Pendant les récréations il faisait le portrait de ses maîtres, qui, en retour, levaient les punitions.
A ce goût précoce pour le crayon il joignait celui de l'indépendance. Toute sa vie il aima la campagne, l'air libre, la nature. Ses escapades consistaient en fugues, en promenades : il adorait l'école en plein air. Une fois, il s'échappa avec un ami; nul ne s'avisa de leur absence.
Pendant les congés, son bonheur était de courir jusqu'au pays d'origine de son père, à Chavanges, gros bourg de Champagne, voisin de Brienne, dont il aimait depuis l'enfance l'horizon agreste, le clocher trapu, et les chemins creux, englués de marne grise. Ch. Georget ne s'arrêtera jamais devant le paysage uniquement joli, devant le site mièvre, anecdotique, léché. Il aura des goûts élevés et sévères, et la terre ingrate et robuste de Champagne n'aura pas médiocrement fortifié dans l'adolescent l'amour des grands tableaux, imprégnés de beauté et de caractère.
Il sortit du collège vers 18 ans. Son tuteur s'enquit alors de ses goûts et lui demanda ce qu'il comptait faire.  Dessiner , répondit-il. Au fond, il n'avait qu'un désir, net et bien arrêté, devenir peintre, mais par timidité il n'osa l'exprimer et se laissa placer, rue de Fleurus, chez un graveur de renom, M. Caron, qui le garda pendant sept ans, moyennant un salaire de 25 fr. par mois. Les leçons de Caron furent d'un artiste et d'un maître ; l'élève les suivit avec ardeur. Vite, il prit conscience de ses forces et affirma sa vocation. Plusieurs de ses compositions d'essai, qu'il présenta à des éditeurs d'imageries de la rive gauche, ayant été reçues à correction, le jeune graveur, sûr de lui, aima mieux renoncer au bénéfice de son travail, que de consentir à des remaniements qui choquaient son goût. De son oeuvre de graveur il reste entre autres un Mariage de la Vierge, un Louis XIII enfant et le portrait de Sauvageot, le grand collectionneur. C'étaient là de solides débuts dans l'art, qui furent appréciés et encouragés non seulement par le maître graveur Caron, mais encore par Henriquel Dupont, membre de l'Institut.
Vers l'époque de sa majorité, à 21 ans, il s'était, avec l'assentiment de son tuteur, installé dans un appartement modeste, mais orné selon ses moyens et ses goûts, où il se sentait chez lui, affranchi de toute sujétion et de toute contrainte. Ce fut son premier jour d'émancipation et de bonheur. Plus tard, bien des années plus tard, il en parlait encore avec une satisfaction débordante et ingénue.
Cependant il ne tardait pas à suivre les cours de dessin de l'Ecole des Beaux-Arts. N'osant, quelque secret désir qu'il en eût, aborder la peinture, il apprit pour son plaisir et son profit, la science du dessin, et jamais dans la suite il ne peignit un tableau sans l'avoir au préalable bâti au fusain, sans en avoir scrupuleusement établi les linéaments et la charpente. Le dessin est la probité de l'artiste. En même temps, pendant ses heures de loisir, il s'initiait aux premières notions de la peinture, aux secrets de la couleur. On se figure ce qu'il dût apporter à ces études de joie persévérante et d'ardeur. Il observait tout autour de lui, il écoutait et apprenait chaque jour un peu de ce  métier , que nul ne possède par intuition ni d'instinct.  La peinture ne s'enseigne pas , écrivait un jour Albert Wolf, le critique du Figaro. Cependant, elle s'apprend. Il y a une grammaire des Beaux-Arts, comme il existe une orthographe, des règles de métrique, des lois de la perspective ; le génie lui-même ne les méconnaît, ni ne les ignore, mais tout en respectant les principes et les règles de l'esprit humain, il en fait une application originale, tandis que le talent s'y appuie prudemment comme à une rampe d'escalier. Le tort des écoles est d'accréditer des formules, des rubriques et de vivre sur elles. Ch. Geonget s'affranchit des oracles d'atelier et préféra se former par l'observation directe et l'étude personnelle au grand air, en pleine nature. Il s'assimila vite les indispensables rudiments de la peinture, et sans se perdre pour cela dans les naïvetés et les gaucheries des primitifs, il voulut être lui-même.
Barbizon jouissait alors d'un prestige universel et mérité. Les grands peintres Diaz, Rousseau, Millet, Ch. Jacque, et les écrivains A. de Musset, Gustave Flaubert, les Goncourt, H. Murger avaient révélé aux quatre coins du monde l'obscur hameau, d'où sortirent tant de chefs-d'oeuvre. Ch. Georget, après avoir songé à l'Algérie, qui de loin le séduisait, préféra s'établir à Farcy-lès-Lys, qui n'était ni réputé, ni envahi. C'est là, qu'après plusieurs années, il se maria en 1863*1, avec celle qui fut la bonne compagne de sa vie, la gardienne de sa mémoire et la continuatrice de son talent. C'est de 1863 que date véritablement sa vie d'artiste. Elle fut laborieuse et féconde, vouée exclusivement à la vie simple, aux joies de l'atelier et du foyer. Ni distractions, ni relations mondaines, mais une existence retirée, la contemplation de la nature et le silencieux travail. L'effort de ces années peut s'apprécier aujourd'hui encore par les aquarelles, les fusains et les études accumulés et conservés dans les cartons où l'on suit les étapes du peintre vers la maîtrise de soi et le plein épanouissement du talent. Plus d'un se rappelle encore la silhouette de l'artiste, assis près de son chevalet, en toute saison, dès la pointe de l'aube jusqu'au crépuscule, en face d'un beau paysage. Mais plus que tout la forêt de Fontainebleau le captivait alors.
C'est d'elle qu'il s'inspire et surtout du Bas-Bréau en ce temps là désert et sauvage. C'est là qu'il cherche son sujet et son inspiration, car la nature est son Louvre, son Montmartre et son café de Fleurus. Il se plaît parmi les rochers et les bruyères, dans les gorges d'Apremont ou sur le bord d'un étang lilliputien où se reflètent avec le ciel bleu les hampes blanches et grêles des bouleaux, les troncs moirés et velus des hêtres, les fûts rugueux des chênes. De bon matin, le béret sur l'oreille et les mollets guêtrés, il part au milieu des rumeurs de la feuillée ; puis la petite pipe de terre blanche à la bouche, la pipe  qui, lui donnait de si bonnes idées , disait-il, il s'installe, admire, dessine et peint, en compagnie d'un écureuil qui sautille ou d'un lapin qui grignote. Heures fécondes de méditation et de travail, de rêve et d'efforts, de découragement et d'enthousiasme où l'artiste lutte avec l'insaisissable et mobile nature, afin d'en reproduire, pour l'enchantement de nos yeux, la puissance de vie et la beauté. A la tombée du soir, Ch. Georget revenait à son atelier de Farcy, le corps harassé, mais l'esprit allègre, car il avait d'un amoureux et clair regard reproduit avec un peu de couleur et sur un peu de toile, l'âme même d'un paysage, c'est à dire en même temps que ses lignes et son coloris ce qui en fait le caractère propre et l'idéale vérité.
Il paraît superflu de suivre dans leurs détails et leur variété complexe, les essais qui conduisirent Georget de la vocation, au développement de la personnalité, de la simple étude au grand tableau. Mieux vaut, ce semble, énumérer et juger les manifestations annuelles et publiques de son talent, c'est-à dire ses envois aux Salons.

II - Les salons

C'est à partir du mois de mai 1875, que Ch. Georget est régulièrement représenté à l'Exposition des Champs-Elysées. Cette année il débute par une Mare en forêt, n° 900, et l'année suivante il donne un paysage d'hiver, Sentier au Bas-Bréau, n° 881, ainsi qu'un fusain, La Mare, n° 2470.
En 1877, il envoie Les Roches de la Récine blanche, n° 917 ; Le Plateau de Belle-Croix, n° 918, et un fusain, Intérieur de forêt, n° 2744.
D'un voyage dans les Pyrénées, qu'il fit quelques années auparavant en compagnie de Jules Gélibert, il avait rapporté une série d'études, dont l'une, devenue tableau, fut exposée en 1878, Les Landes (Hautes Pyrénées), n° 1005, accompagnée d'Une mare sous Bois, Forêt de Fontainebleau, n° 1006. Pour la première fois alors, les critiques s'occupèrent de Ch. Georget et l'un deux mentionna son envoi avec ce bref mais intelligent compliment  C'est la vraie nature .
En 1879, il expose l'Automne au Bas Bréau, n° 1354, dont on contesta la justesse de ton et la poésie, et en 1880, Les Bords de la Neste (Haute-Pyrénées), n° 1592 et Les Bords de la Seine, n°1393. La première toile mal exposée, laissa cependant admirer le beau mouvement des eaux débordant sur les terres et la verdure.
La plupart de ces premiers tableaux de Georget ont été acquis par le musée de Rochefort. On doit remarquer cependant qu'ils proviennent à peu près tous de la forêt de Fontainebleau.
A ce moment, Charles Georget, se rapprocha de la nature champêtre, des prés, de l'eau. Il aimait la Seine, ses saules, ses roseaux, son rideau de trembles, le doux coteau de Boissettes et le noir massif des Vives-Eaux ; il aimait au sortir du bois profond, l'air, la lumière, le soleil. Ses envois au Salon en témoignent.
En 1881, il expose, sous le n° 976, un Matin, d'une fraîche poésie et une vue des Environs de Melun, n° 977 ;
En 1882, L'Etang de Boissise-le-Roi, n° 1159 ;
En 1883, la Route de Bourgogne, Forêt de Fontainebleau, n° 1088.
C'était un des bons paysages du Salon. Sur le sol détrempé et blanc d'eau, entre des frondaisons jaunies, deux gendarmes à cheval s'éloignent. L'impression était excellente et l'effet saisissant d'harmonie générale et de sincérité.
Mais l'année suivante, les amis du peintre et les critiques constatèrent un décisif progrès avec le Coteau de Boissettes, n° 1089 et un Soleil couchant. Les deux tableaux, le premier surtout, un Daubigny, disait on, furent loués sans restrictions.
Enhardi par les encouragements et les éloges, Ch. Georget attaqua les grands tableaux. Il avait remarqué d'ailleurs que les envois au Salon affectaient des dimensions de plus en plus considérables, comme si la valeur de la peinture était en raison de la superficie de la toile. Pour ne pas se singulariser, Ch. Georget augmenta son format. En 1883, il exposa La Neige, n° 1883, un beau paysage d'hiver, où, du ciel gris et lourd les flocons semblent prêts à tomber sur la terre déjà couverte d'un mélancolique linceul, tandis que chemine une pauvre vieille, traînant un fagot de ramée. Il avait envoyé aussi Le Chemin de Farcy, que Benjamin Constant l'avait engagé à peindre. Au premier plan des pommiers et des poteaux, sur les fils desquels jasent les dernières hirondelles, puis des arbustes verts, pépinières et vergers, enfin dans le fond, le coteau des Boissettes. C'était lumineux, sincère et charmant.
Son exposition de 1886, fut La Prairie aux Vives-Eaux, n° 1040, qui fut discutée malgré ses qualités de facture large et vigoureuse. Le sujet parut morne ; la partie de gauche du tableau, qui représente le massif boisé des Vives-Eaux, fut jugée lourde, mais on loua les saules, les verts bien éclairés et en général toute la partie de droite du tableau.
En 1887, il exposa son chef d'oeuvre, un Coucher de Soleil, n° 1022, des arbres échevelés, empourprés par le soleil couchant, ça et là des futaies, des flaques d'eau, une ornière. L'effet produit fut merveilleux, les éloges unanimes. Les critiques d'art vantèrent la simplicité du sujet et sa grandeur, le chaud coloris du tableau et sa poésie, la touche large et grasse de l'artiste. Henri Rochefort écrivit  L'impression y est . Un autre compara l'oeuvre à un Jules Dupré ; un troisième ajouta  Elle doit entrer d'emblée au Luxembourg . Elle fut honorée, il est vrai, d'une mention, et achetée d'emblée aussi, mais par un Américain.
Maître de sa palette et de son art, Charles Georget, en s'égalant aux maîtres, s'était imposé aux connaisseurs. C'était avec la consécration de son persévérant labeur la juste récompense de sa modestie. Eloigné des cénacles et des coteries, il ne devait son succès qu'à son mérite. C'était un patient, un chercheur, un silencieux. Mais aussi comme il s'acharnait à la poursuite de la vérité et de l'idéal ! Son beau Coucher de soleil avait été préparé par une série d'études consciencieuses au milieu de la nature. Le soir, il s'adossait à un arbre, en face de Boissettes, pour contempler seul les rouges lueurs de l'astre à la cime des bois et dans les profondeurs du fleuve ; ou bien il se laissait aller à la dérive dans son bateau, inclinant la tête de droite et de gauche, méditant, admirant, perdu dans un recueillement muet, et aspirant ou croyant aspirer encore les bouffées d'une pipe depuis longtemps éteinte. Voilà le secret de cet éclat, de cette chaleur et de ce sentiment qu'il mettait dans tous ses couchers de soleil.
L'année suivante il exposa, n° 1105, un tableau rapporté de Champagne, un soleil rougeoyant sur des terrains nus et secs. C'est un excellent paysage d'une superbe facture. Il est au Musée de Melun*2, à qui Mme Georget, la veuve de l'artiste, en a fait don. On peut regretter qu'il ne s'y trouve pas à la place et dans le cadre qu'il mérite.
En 1889, en pleine maîtrise du talent, Ch. Georget donna La Seine au coucher du soleil, n° 1149, d'un effet chaud et brûlant d'automne. Dans l'eau dormante de la Seine se reflète le ciel enflammé, et le coteau de Boissettes, splendide, pris entre deux feux, s'enlève en vigueur entre ces deux lumières éblouissantes.
Après le coucher de soleil, l'artiste étudia les effets de lune, après le crépuscule empourpré, les nocturnes bleus et mélancoliques. Il les travailla plus encore que ses couchers de soleil. Un de ses derniers salons, 1890, n° 1031, fut cette poétique et sereine Mare à Beauge, où, dans le paisible rayonnement de la lune, deux cerfs sont venus boire paysage dormant, harmonieux, admirablement éclairé, qui donne la sensation exacte du calme et de la troublante obscurité qui règne sous bois pendant la nuit. Cet envoi était accompagné des Bruyères, n° 1032, bouquet frais et rose, comme un coin de lande fleurie dans la forêt de Fontainebleau.
En 1891, il produisit la Vallée de Champcueil (Seine et-Oise), n° 699, paysage plein de lumière et d'espace, sur le chemin pierreux et les herbes flétries duquel s'étend un bleu infini.
En 1893, la Vallée du Valtin (Vosges), n° 789, remarquable par la clarté de sa perspective aérienne et ses jolis détails, paysannes, chèvres et touffes de bruyères, groupées autour du village ou disséminées dans les lacets de la montagne.
Les deux grands derniers tableaux de Ch. Georget furent en 1894 L'Etang de la Horre, en Champagne, d'un puissant effet, et en 1895, Un Soleil couchant, forêt de Fontainebleau, n° 819.
Ce fut sa dernière grande toile. Frappé d'un mal impitoyable, l'artiste peignit son dernier coucher de soleil et ferma les yeux pour toujours. Pendant ses derniers mois de souffrance et de fièvre, il vivait encore ses tableaux ébauchés, et parfois s'exaltait comme devant la révélation des secrets d'art qu'il avait obstinément cherchés. La flamme de l'intelligence devenait plus vive ; plus de tâtonnements ni de doutes; tout s'illuminait de clarté et d'aurore ; et, tandis que sur sa palette les couleurs allaient sécher pour jamais, Ch. Georget, s'en allait sur d'admirables visions d'art et des conceptions de chefs-d'oeuvre. On lui promettait la santé avec le retour du soleil et des feuilles nouvelles. On accusait le mauvais temps.  Le temps a bon dos , disait-il aux siens. et à ses amis, qui s'efforçaient de tourner ses regards vers l'espérance. Il cessa de souffrir le 22 décembre 1895, et s'endormit, fidèle à sa croyance à l'au delà. Son corps repose dans le cimetière de Dammarie-lès-Lys, sous les fleurs du souvenir, à l'ombre de la grande forêt et près des rives de la Seine, qui avaient charmé sa vie et inspiré son talent.

III

Ch. Georget

Environs de Melun (pont de Maincy), Charles Georget (1881)

Ch. Georget joignait la modestie la plus sincère au mérite le plus solide. Discret jusqu'à l'effacement et timide jusqu'à la sauvagerie, il ne se plaisait que dans son atelier ou dans la nature. Jamais il n'a voulu faire au monde le sacrifice de ses goûts simples, de son indépendance de caractère et de son obstiné labeur. Il aimait le recueillement et la solitude. Benjamin Constant, en arrivant à Farcy, avait jugé l'homme et distingué le peintre. Il voulut s'intéresser à lui et le faire connaître. Ch. Georget accepta avec reconnaissance le patronage si flatteur du grand artiste, et lui rendit visite à Paris. Il y fut son hôte d'un jour, et revint à Farcy heureux, mais intimidé, car il ne se résigna plus jamais à subir les formalités de l'étiquette et le protocole d'antichambre. Quelques rares amis, le sculpteur Delaplanche, le peintre Gaugiran-Nanteuil, E. Durenne, Georges Marc, pour ne citer que les disparus, ont pu apprécier cette nature modeste et droite, confiante et réservée, exempte de pédantisme et d'envie, sérieuse volontiers, mais gaie par échappées et joviale jusqu'à la saillie. Ceux-là ont suivi les progrès de l'artiste et assisté d'année en année à la composition de ses tableaux, non seulement des grands, mais de ceux plus modestes, qui prenaient, pour ne plus revenir, le chemin des expositions de province et des galeries d'amateur, matins aux teintes roses et safranées, soirs chauds et empourprés, obscurs sous-bois, mares éclaboussées de lumière, printemps fleuris, automnes roux et dorés, vergers, prairies et roses des jardins, ces jolies roses coupées, dont avec une ravissante souplesse de talent il faisait revivre la grâce sensuelle et l'incarnat.
De cette rapide notice un fait se dégage : Ch. Georget ne fut ni admiré, ni récompensé à sa juste valeur. Cela tient surtout à ce que sans avoir été un inconnu, ni un méconnu, il vécut non seulement solitaire, mais isolé, sans rien faire pour la notoriété ou la gloire. Il est mort aussi dans la maturité de son talent, à l'âge où les meilleurs souvent ne font que recueillir le fruit des années d'apprentissage et d'étude. Toute existence humaine est courte, celle de l'artiste surtout, qui n'a jamais fini d'apprendre, s'il veut s'élever au-dessus du dilettantisme, qui n'est qu'un passe-temps, et de la virtuosité, qui n'est que du métier. Qu'est-ce qu'un maître aux regards de la Nature et de la Vie ? Qu'est-ce surtout que l'innombrable armée de gens d'esprit et de talent, au dessus des épaules desquels il faut se hisser, si l'on veut faire quelque figure et de la moyenne passer dans l'élite ? Plusieurs y réussissent par l'intrigue. Ch. Georget ignora toute sa vie la réclame, les amitiés profitables, les relations intéressées. Il connaissait son époque, mais il ne la suivait point ; il voulait s'élever, non parvenir ; volontiers il eût dit, comme La Bruyère  Se faire valoir par les choses qui dépendent de nous ou renoncer à se faire valoir . Son mérite personnel se fût d'ailleurs imposé, et certainement Ch. Georget aurait connu le succès de bon aloi, où l'admiration tarifée et le snobisme ne sont pour rien. C'était un pur artiste, qui ne voulait rien devoir qu'au labeur et au silence.

IV

Mais aussi comme son talent fut personnel, sans rien qui sentit le procédé ou le convenu, la formule ou l'école ? Quand on a dit de ses tableaux que l'un était un Daubigny, l'autre un Jules Dupré, un troisième un Chintreuil, on ne veut pas donner à entendre que la toile fût dans la manière de l'un ou de l'autre de ces peintres, mais que dans son genre, l'oeuvre n'était pas indigne de ces maîtres et aurait pu porter la signature de l'un d'entre eux.
Quand il fut en possession de la technique de son art, qu'il n'a d'ailleurs jamais cessé de perfectionner, Georget puisa dans la conscience de ses facultés et dans son expérience la force de rester lui-même, en face de son unique modèle, la nature. Le dessin, il le savait comme personne ; le coloris, il y excella à force d'observation, de contemplation intelligente, de patients essais. Il peignait ses arbres en pleine pâte dans le ciel, où flottent de beaux nuages, où parfois d'aériennes fumées ondulent ; il empourprait la cime des bois et rendait translucides les nappes des fleuves ; il faisait jouer la lumière et l'air dans les halliers et les futaies ; il donnait l'illusion des buées matinales et de la chaude atmosphère qu'on respire les soirs d'été.
Au cours de son existence concentrée et solitaire, il s'est familiarisé avec les aspects changeants du paysage et rompu à tous les secrets de l'art. Ebauche ou tableau, chacune de ses toiles évoque une page du poème de la nature. Les études, en particulier, ravissent les connaisseurs, émerveillés par la vérité des ciels, la transparence et la profondeur des eaux, la vigueur des herbages, l'harmonie et l'intensité de la lumière. Chez lui rien d'artificiel, ni de factice. Il vivait son tableau avant de le peindre, et ce n'est qu'après avoir senti le caractère propre d'un paysage qu'il confiait à la toile la vision de son oeil charmé.
Un mot résume son art et sa vie, sincérité, mais une sincérité franche sans raideur, ferme sans dureté, gracieuse sans fadeur. Devant ses tableaux on a le sentiment du vrai et la révélation de la poésie. Plein de foi dans son art, capable de dégager ce que le sujet en apparence le plus ingrat renferme d'expression particulière et d'idéal, Ch. Georget fut moins le paysagiste de la Champagne que celui de notre pays melunais. A ce titre, auquel s'ajoutent tant d'autres, il mérite de vivre dans notre admiration et dans notre souvenir.

Par M. Ch. Wever, sociétaire (Charles Wever, professeur au collège de Melun)

Article du Bulletin de la Société d'Archéologie - Sciences, Lettres et Arts - du Département de Seine-et-Marne (onzième volume, 1905-1906)

On notera que Ch. Georget peignait plutôt les bords de Seine et la forêt proche : qu'est-il venu faire du côté de Trois-Moulins ? A-t-il connu Cézanne, lors du passage de ce dernier à Melun ? Ce sont-ils rencontrés lors de leurs sorties dans la nature ?

J'ai découvert trop tard le tableau  Environs de Melun  après une vente aux enchères, à Fontainebleau (7 avril 2013). En décembre 1995, pour le centenaire de la mort de l'artiste, la ville de Dammarie-lès-Lys, a exposé une partie de ses oeuvres au Château des Bouillants ; ce tableau n'y figurait pas.

Tableaux exposés à Dammarie-lès-Lys, du 3 au 24 décembre 1995 :

Tableaux d'Elisa Georget :


(*1) 15 septembre 1863, à Paris, mariage de Jean-Charles Georget (né le 26 mars 1833, à Paris), artiste peintre, et de Elisa Antoinette Sautereau (née le 6 octobre 1842, à Paris), fleuriste.

(*2) Don de la veuve de l'artiste, cet unique tableau est encore aujourd'hui dans les collections du musée de Melun. Contrairement au commentaire de l'auteur de l'article, je trouve plutôt intéressant que nous conservions localement des oeuvres de ce peintre qui a peint notre région.


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