A une époque où la réfrigération et la pasteurisation n'étaient pas courantes, les tournées de ramassage étaient un des éléments importants de la profession de laitier. Pour que le lait arrive frais dans les bols du petit déjeuner, il fallait qu'il soit trait le matin même à l'étable, qu'il soit transporté jusque chez le client et qu'il arrive à l'heure quel que soit la météo. Une autre tournée avait lieu après la traite du soir.
Henry de Monfreid lui même nous raconte les tournées de ramassage des Mollereau : “ Le matin, dès trois heures, en toutes saisons, par tous les temps, les deux hommes partaient chacun sur une voiture ramasser le lait des fermes isolées dans ces plaines sinistres. Sur son siège, emmailloté de couvertures, l'homme somnole à la cadence des grelots. Accablé de fatigue, engourdi de froid, baissant la tête sous les bourrasques de neige, il laisse aller son cheval qui sait son chemin par habitude et s'arrête devant la ferme. Le laitier descend, tout congestionné, les mains gourdes dans les moufles de peau de mouton. Il doit trouver le mot aimable pour son client, répéter les mêmes propos, puis, quand il a chargé ses pots de lait, il repart sur la route boueuse. L'aube blanchit à peine quand il est de retour. ” Voici encore ce qu'il nous dit des premières tournées qu'il accompagnait à la Société Laitière Maggi : “ En hiver ces tournées matinales, presque entièrement nocturnes, étaient assez pénibles à cause du froid, du brouillard ou de la pluie, dont rien ne me protégeait sur ces charrettes découvertes. ”
Les tournées consistaient à passer de ferme en ferme ramasser les bidons en fer blanc étamées de 20 litres. Louise Jonot nous racontait comment, après la mort de son père à la guerre de 14, à l'age de 14 ans elle attelait la charette dès 4h du matin, parcourait la campagne, s'arrêtait à chaque ferme pour charger les lourds pots, goutait chaque pot pour mettre à l'écart ceux qu'elle jugeait impropre et qui risquait de gacher le mélange. Il fallait maîtriser cet attelage qui s'alourdissait au cours du voyage, même lorsque le sol était gelé et que les chevaux étaient cloûtés avec des fers à glace. Chaque pot était marqué pour en connaître la provenance et contrôler la qualité du lait, certains producteurs peu scrupuleux pouvant rallonger le lait avec de l'eau ou donner le lait de bêtes malades. Un peu plus tard, des moyens de mesure permirent de mesurer la teneur en crême (ou matière grasse) et d'indexer le prix du litre en fonction de la qualité.
Pendant toute la durée de fonctionnement de la laiterie (environ 80 ans) les fournisseurs ont du changer et par conséquent l'itinéraire aussi.
Lorsque les véhicules à moteur prirent le relais, les 2 tournées de ramassage furent réunies en une seule.
Cette carte d'État-Major de la région de Melun a été retrouvée dans les papiers de la famille Jonot. Elle n'est pas datée mais je la situe autour de 1900 car on y voit le tracé de la ligne du tramway de Melun à Barbizon (1899 - 1938) mais pas celui de Melun à Verneuil (1901 - 1938 et plus). L'usure du document (crasse et déchirures) montre qu'il a beaucoup servi.
On peut imaginer qu'elle date des Mollereau et qu'elle a servi à tous les laitiers qui se sont succédés, des Mollereau aux Jonot, en passant par les Leclere et de Monfreid. A moins que le tracé n'ai été déssiné par Louise Jonot pour raconter aux historiens locaux la vie de la laiterie.
La carte nous montre un trajet passant par Vaux-le-Vicomte, Moisenay (Petit et Grand), Blandy-les-Tours, Champeaux, Andrezel, Fouju, Crisenoy, Saint-Germain-Laxis, Melun (Saint-Liesne). Louise Jonot nous indiquait : Maincy, Sivry-Courtry, Blandy, Champeaux, Fouju, St Germain-Laxis, Moisenay et Rubelles.
Les livres de comptes nous donnent quelques noms de familles*1 permettant d'identifier ces fermes :