retour Accueil Les maraîchers melunais

En général, les habitants des campagnes cultivaient les légumes pour leur alimentation. Dans les villes, il y avait très rarement un coin de terre pour ces cultures, sauf quelques jardins comme aujourd´hui les jardins ouvriers. On achetait alors ses légumes, provenant des cultures maraîchères, sur le marché ou chez les commerçants.

© Charlotte B.
Photo caractéristique d'une famille de maraîchers vers 1890 :
la famille Niquet, installée à l'emplacement de l'actuelle rue des maraîchers ; 2 générations de maraîchers, les enfants ; le garçon jardinier, à droite avec l'arrosoir en cuivre, est le père de Charlotte B. (voir page Trois-Moulins au fil du temps) © Charlotte B.
Comme beaucoup de grandes villes, Melun a une longue tradition maraîchère. Cette tradition est un peu oubliée aujourd´hui, c´est pour cette raison que je sors un peu de mon sujet principal, les moulins, pour aborder ce métier qui se perpétuait souvent de père en fils sur plusieurs générations. Je pense être assez bien placé pour en parler car je descends d´une longue lignée de maraîchers melunais (familles Dubouloit, Petit, Varlet...). Sans Fernand Raynaud et ses " melons de Melun " on ne trouverait pratiquement plus de traces de cette corporation un peu particulière : mi-paysans, mi-citadins ; mi-artisans, mi-commerçants… Ma famille était, d'ailleurs, les principaux producteurs des melons cultivés à Melun. Cette profession est assez proche de celle des jardiniers : dans un cas on cultive des légumes pour les vendre, dans l´autre on cultive les légumes, les fleurs, pour un propriétaire ou une collectivité.

Les jardins maraîchers sont situés à la périphérie de la ville, à la limite des champs. Les derniers étaient situés rue de Trois-Moulins, mais on en trouvait rue Saint-Liesne, de l'autre côté de la Seine : rue Doré, boulevard Chamblain (ancien quartier de la Varennes). Les familles de maraîchers habitaient souvent sur leurs terrains. Comme je l´ai déjà écris concernant l´origine du nom Almont, le mot maraîcher vient de marais car c´était souvent dans les terres des marais, enrichies en limon par les inondations, qu´étaient situés ces jardins. Ces terres cultivables étaient sans cesse repoussées au fur et à mesure de l´agrandissement des villes. Le dernier maraîcher de la rue de Trois-Moulins cultivait un champs à Maincy, au bord de l´Almont. Aujourd´hui ces jardins ont été transformés en terrain à bâtir ou en routes et les grandes propriétés ont fortement diminué. Il ne reste plus, au bord de l'Almont, que les “ jardins des Carmes ”, jardins ouvriers appartenant au “ faubourg des Carmes ”, légués, il y a très longtemps, par un roi et dont la tradition se perpétue encore aujourd'hui.

© archives Varlet
Procession de Saint Fiacre sur un pont de Melun vers 1950 ; au fond, à gauche, l'actuel musée de la Vicomté © archives Varlet
Les différentes familles étaient en concurrence, souvent amicale, et chacun prenait soins de ses cultures afin d´avoir les meilleurs légumes sur les étalages. Cette corporation, à laquelle s'ajoutait celle des jardiniers et des horticulteurs, se retrouvait lors de la fête de son saint patron : Saint Fiacre. C´était alors l´occasion de sortir la bannière et la statue du saint et de se retrouver pour une cérémonie religieuse.


La profession consiste à exploiter au mieux le terrain pour avoir les meilleurs légumes au bon moment. On doit prévoir les récoltes successives pour que lorsqu'une culture se termine, une autre soit prête à prendre le relais. On récolte les salades pendant que les radis ou les carottes lèvent. Certaines cultures comme le melon demandent beaucoup de travail : fumier, arrosage, récolte...
La vente des légumes sur le marché est souvent le travail des femmes et des enfants. Tout l'art de la vente consiste à tirer le meilleur prix des légumes, tout en vendant le maximum pour éviter la perte. La concurrence est rude et certains cassent les prix...
© photo Michel V.Le travail est essentiellement manuel. Avant la mécanisation, les familles avaient en général un cheval, un mulet ou un âne, pour labourer ou tirer une charrette pour transporter le fumier et les légumes. L'animal servait aussi à entraîner une pompe à manège pour remonter l'eau du puits, avant que l'usine électrique de Melun n'alimente des pompes plus faciles d'emploi. Plus tard les motoculteurs remplaceront ces animaux. Les camionnettes remplaceront les charrettes. Certains transports se faisaient à dos d'homme avec une hotte (comme celle de la photo ci contre), à la main avec de grands paniers en osier, avec des charrettes à bras, avec des brancards (pour le transport des cloches par exemple) ou avec des brouettes (en bois à roue en fer, puis à roue à pneu)...
Les principaux outils et accessoires sont : l´arrosoir (au début en cuivre puis en fer galvanisé), la bêche, le râteau, la fourche pour épandre le fumier, les cloches en verre et les châssis vitrés pour forcer les cultures avec le rayonnement solaire en les préservant du froid. Assez caractéristique de cette profession, on trouve en haut des jardins un réservoir (ou cuve) au sommet d´une tour, que l´on remplit avec une pompe plongeant dans le puits indispensable aux cultures, pour alimenter en eau les points d´arrosage. Cette réserve permet aussi de réchauffer l'eau pour ne pas arroser avec une eau trop froide. L'arrosage est un point très important. Dans certains jardins il y a plusieurs puits répartis sur la surface du terrain.
© Michel V.L'arrosoir ci contre était appelé aussi “sauteuse” à cause du geste qu'il fallait faire pour le retourner. En effet, on trempait l'arrosoir dans un bassin, anse vers le bas, pour le remplir. On le tenait par l'anse située près de la pomme, celle-ci tournée vers l'arrière, pour se rendre au point à arroser. Ensuite il fallait d'un geste, le lancer en l'air en le faisant pivoter pour le rattraper par l'anse arrière et vider l'eau contenue. Les garçons jardiniers s'entraînaient de longues heures avant d'y arriver. On notera la taille du tuyau et de la pomme qui devait fournir un gros débit, la contenance étant d'un dizaine de litres. On peut imaginer qu'ils arrosaient avec un arrosoir dans chaque main. Cet arrosoir n'était pratiquement plus utilisé au début du 20ème siècle. On avait adapté aux sauteuses une anse amovible comme celle d'un seau ou on utilisait des arrosoirs aux formes plus proches de celles de maintenant (voir collection d'arrosoirs).

Les maraîchers n'étaient pas toujours propriétaires, ils louaient souvent leurs jardins à des propriétaires quand ce n'était pas à leurs parents. Les baux nous donnent des renseignements intéressants. Mon arrière-grand-père, au moment de son mariage en 1901, louait un jardin “ rue Doré ”. On peut lire qu'il y avait 1000 cloches de verre, 200 châssis vitrées, une pompe à manège, tout un réseau de tuyaux en cuivres avec des robinets environs tous les 15 à 20 mètres. On y apprend le nombre de couches de terreaux ou fumier, de tranchées à melon, avec l'état dans lequel devait être le jardin à la fin du bail.

Cette profession est fortement soumise aux caprices de la météo. Il n´est pas rare que la grêle détruise les cultures et les châssis vitrés (quand ce n´est pas une pluie d'obus américains à la libération en 1944).

© archives VarletJardin de mes grands-parents vers 1940 : on y voit ma grand-mère avec 2 paniers à légume, une rangée de cloches sur la droite, un arroseur en action sur la droite, la cuve au fond, des châssis sur la droite et au fond à gauche, les murs en pierre servant de support aux arbustes en espalier... (voir le même jardin 25 ans plus tard)
© archives Varlet


Avec le développement des transports cette profession s´est éloignée des villes. Les commerçants nous proposent maintenant des légumes venant de régions (ou de pays) plus lointaines.

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